Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux ont choisi de mettre en scène, pour cette année Molière, Les Précieuses ridicules. Ils y mettent de la musique bien sûr, on se souvient de leur très beau Les Serge (Gainsbourg point barre). Ils ont vu aussi dans cette pièce, en un acte et en prose, première pièce jouée à Paris et premier grand succès de Molière, l’occasion de parler de ce désir de distinction dont parlait Bourdieu, l’envie de montrer que l’on est au courant de la dernière mode, que l’on a une vie magnifique digne d’être enviée par tous.
Le propos de la comédie est simple. Deux jeunes aristocrates sortent mortifiés de leur visite chez Magdelon et Cathos, deux jeunes précieuses tout juste arrivées de leur province. Elles les ont éconduits car elles rêvent de jeunes gens dans le vent, qui leur glisseraient des madrigaux galants, plutôt que de futurs époux tels que les veut leur père. Ceux-ci vont se venger en leur envoyant leur valet Mascarille « qui se pique de galanteries et de vers » et son ami qui se vante d’exploits militaires. Magdelon et Cathos sont éblouies par tant de compliments extravagants jusqu’à ce que les deux aristocrates chassent leurs valets mettant le comble à l’humiliation des deux précieuses.
Dans leur mise en scène Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux adoptent un point de vue nuancé sur ces précieuses. Certes elles sont ridicules dans leur snobisme, dans leur désir de vouloir s’élever au-dessus de la masse, mais les deux metteurs en scène leur gardent un petit côté (tout petit!) touchant. Elles rêvent de sortir de l’ennui de cette vie, où la seule perspective est le mariage qui, dépouillé de la galanterie, devient du plus profond ennui et Magdelon ne renonce pas totalement à son rêve. Après avoir dans sa colère pulvérisé la guitare du marquis qui l’a humiliée, elle fait de ses débris une nouvelle œuvre d’art à accrocher au mur !
Le décor est baroque à souhait, un appartement avec un panier de basket en cristal, des interrupteurs cachés dans les murs. Les deux filles cherchant à montrer leur goût pour ce qui est nouveau et original dans l’art, des livres jonchent le sol, elles réalisent un tableau en appuyant leur visage teinté par un masque de beauté sur une toile (on pense à Yves Klein ! ). Si selon Barthes l’homme distingué se distingue en ce qu’il ajoute « à l’uniforme du siècle … quelques signes discrets… des signes de connivence », les précieuses en font des tonnes avec les costumes extravagants imaginés par Gwladys Duthil qui déchaînent les rires dès leur entrée. Ainsi Cathos porte une robe à panier très encombrante qui s’arrête juste au-dessus du genou, Magdelon arbore des ballons de baudruche en guise de coiffure et finit avec un bocal à poisson rouge dans le dos !
La musique est très présente. Stéphane Varupenne au trombone ou à la guitare et Sébastien Pouderoux à la guitare incarnent les petits marquis. La servante Marotte est une batteuse capable de se déchaîner (Lola Frichet en alternance avec Edith Séguier). Sephora Pondi (Magdelon) et Claire de la Rüe du Can (Cathos) se délectent à incarner les deux précieuses qui singent ce qu’elles pensent être des modèles et adulent en provinciales éblouies les pauvres sonnets de Mascarille. Claire de la Rüe du Can hurle son émotion tandis que Sephora Pondi « théorise » davantage, par exemple en faisant la critique du mariage bourgeois. Jérémy Lopez campe un Mascarille dont on se souviendra. Molière lui faisait dire « les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris ». Mascarille hurle du Lully quand il fait des travaux dans l’appartement, les deux metteurs en scène ayant fait de Mascarille et de Jodelet des ouvriers au lieu de laquais. Accompagné par les deux metteurs en scène à la guitare, il se lance, en guise de madrigal, micro en main dans une longue improvisation mêlant tous les styles et faisant hurler de rire la salle. Les spectateurs de 7 à 77 ans en sortent totalement réjouis !
Micheline Rousselet
Jusqu’au 8 mai au Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris – le mardi à 19h, les mercredis et samedis à 20h30, le dimanche à 15h –
Réservations : comedie-française.fr
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