Après avoir exploré l’Europe, le Birgit Ensemble, crée par Julie Bertin et Jade Herbulot, s’intéresse désormais aux institutions de la Vme République. Le projet, démarré avec Entrée libre (l’Odéon est ouvert) puis Les oubliés (Alger-Paris) à la Comédie Française se poursuit avec Roman(s) national à La Tempête. La Constitution de 1958, complétée par l’élection du Président de la République au suffrage universel, a renforcé la personnification du pouvoir à laquelle s’est greffée la glorification d’un roman national.
Fable politique mêlée de fantastique, la pièce met en scène cette fascination pour un homme providentiel, ici un candidat à la Présidence de la République ancien champion d’escrime, et un roman national fait de grands hommes, de conquêtes et de victoires évoquées ici par les discours de Jules Ferry et de Malraux. Mais la pièce souligne aussi que dans cette fabrication d’un imaginaire national on oublie des pans entiers de notre histoire, comme la colonisation, que rappelle ici la colère des fantômes kanaks surgis des sous-sols du Musée de l’Homme, devenu QG de campagne du candidat à la présidence après sa récente privatisation !
Le passage du temps qui sépare de l’élection s’affiche jour par jour, souligné par une musique forte et par la démarche pressée des divers conseillers portant leur dossiers. Dans le QG de campagne, avec ses tables, ses téléphones, ses ordinateurs et ses dossiers s’agite tout ce monde qui entoure un candidat à la présidence : secrétaire du parti, responsable de la stratégie, de la recherche de soutiens financiers, de la sécurité, de la fabrication des images, informaticien, plume du Président, sans oublier sa femme qui n’est pas la moins active pour façonner l’image du futur Président. Autour de Paul Chazelle (interprété de façon très convaincante par Pierre Duprat), le candidat à la présidence issu du parti Horizon, libéral et conservateur, se révèlent les enjeux politiques. Pour contrer la représentante de la gauche et de l’extrême gauche qui lui sera opposée au second tour et qui insiste dans son projet sur l’accueil des migrants climatiques à la suite de « la grande catastrophe » survenue peu avant, il est prêt à bien des virages. Autour de lui, dans son équipe se mêlent convictions mais aussi ambitions personnelles, fidélités mais aussi trahisons. Certains attendent un retour sur investissement après l’élection en remerciement de leur engagement. D’autres sont déçus par la découverte des arcanes de nos démocraties. Et puis dans cette campagne qui prend des allures d’opération de marketing la part honteuse de l’histoire va se rappeler à ces jeunes loups, avec ces crânes kanaks remontant mystérieusement des sous-sols pour tomber des étagères, des crânes qui avaient été collectés en vue de « démontrer scientifiquement la supériorité de la race blanche ».
À la veille de l’élection présidentielle, Julie Bertin et Jade Herbulot livrent une mise en scène au cordeau, servie par une troupe de comédiens brillants, pour cette pièce passionnante qui nous pousse à nous interroger sur notre démocratie et sur ce roman national dont certains nous rabattent les oreilles.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 27 mars au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, Route du Champ-de-Manoeuvre, 75012 Paris – du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h –
Réservations : 01 43 28 36 36 ou www.la-tempete.fr
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