Quand on apprend qu’il y a eu une tuerie de masse on pense aussitôt à l’horreur que vivent les parents, surtout quand les victimes sont des jeunes. Mais on ne pense pas instantanément au cataclysme qui s’abat aussi sur les parents du tueur. Souvent ils tombent des nues, ne peuvent y croire, pensent qu’il y a eu une erreur, que leur fils n’a pas pu faire cela. Mais pour eux pas de pitié, comment n’ont-ils rien soupçonné, rien vu, rien su ? C’est sans ménagement qu’ils apprennent la mort de leur fils, le monde entier les accuse, la police en premier lieu. Pas d’empathie, seulement des insultes, toute la famille est laissée seule face à la haine.
C’est le très beau monologue d’une mère qu’a écrit Elizabeth Gentet-Ravasco, une mère dont le fils a tué 19 personnes. Ce ne peut pas être lui, elle le répète, elle ne comprend pas, elle refuse d’y croire, s’excuse, tente de dire qu’elle ne savait pas, se trouve face à une forêt de micros, de gens qui crient leur haine, l’insultent et lui crachent au visage. La normalité n’est là que lorsque le téléphone sonne non pour une énième insulte mais pour lui vendre une salle de bains (ceux-là ne savaient pas). Sa fille comprend bien avant elle que tout ce qu’elle pourra faire est vain, qu’ils porteront toujours cette culpabilité, qu’il n’y aura plus de rires ni d’amitiés dans leur vie.
Rien dans la mise en scène de Stéphane Daurat n’évoque la tuerie, le plateau est vide à l’image de ce foyer dévasté. Comme des images mystérieuses de ce qui traverse les pensées de cette mère, deux panneaux lumineux tels des tableaux abstraits en noir et blanc scintillent, semblant striés de larmes ou laissant imaginer une silhouette parfois. Le travail sur la lumière suit avec délicatesse la comédienne seule en scène. Des sons nous renvoient parfois au réel, sonneries répétées du téléphone, cris haineux amortis comme s’ils passaient par le filtre de l’éloignement et du refus de l’horreur. Mais le plus souvent c’est une trame musicale composée par le collectif Avant l’Aube qui accompagne la déambulation de cette mère déchirée. Nourrie d’influences musicales classiques, Debussy, Ravel, Max Richter, mais aussi contemporaines comme l’électro d’Apparat ou Niels Frahm ou la poésie expérimentale de Radiohead, elle invite le spectateur à se laisser aller à l’émotion qui le bouleverse.
Véronique Augereau pieds nus, désarmée est cette mère dont le monde s’effondre et qui s’offre avec sincérité, tendresse, fureur, besoin de comprendre et d’être comprise. Elle est ce bloc d’incompréhension et de douleur, se débattant pour tenter d’échapper à la réalité et trouver une issue. Elle est magnifique. Sans jamais sombrer dans le pathos, elle nous laisse bouleversés, le cœur brisé comme le sien.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 6 avril à la Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron, 75018 Paris – les lundis, mardis et mercredis à 21h, le dimanche à 20h30 –
Réservations : 01 42 33 42 03 ou manufacturedesabbesses.com
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