Les spectacles pour la jeunesse sont plutôt rares. Il serait donc dommage de passer à côté d’Histoire(s) de France d’autant qu’Amine Adjina travaille des thématiques fort intéressantes dans le cadre d’une approche sociologique des croisements culturels. Dans Kévin, Portrait d’un apprenti converti (2018), l’auteur, metteur en scène et à ses heures acteur (formé à l’ERAC) proposait déjà aux adolescents de réfléchir sur ces parcours de déclassement qui conduisent certains jeunes français des quartiers à l’islamisme politique et au djihad armé.
Le propos de ce nouveau spectacle est plus léger et s’adresse à une tranche d’âge nettement plus jeune, disons entre 9 et 12 ans (au-delà autorisé !). Chargés par leur professeur de représenter théâtralement des épisodes de l’histoire de France, trois élèves, Camille (Émilie Prévosteau), Arthur (Romain Dutheil) et Ibrahim (Mathias Benattar) vont s’essayer sur trois moments qu’ils jugent importants : les Gaulois, la Révolution de 1789 et la victoire de la Coupe du monde de foot en 1998 par une équipe de France « blacks-blancs-beurs » comme on disait à l’époque. Tout cela est le moyen pour Adjina de proposer par le jeu et la fantaisie un questionnement sur l’identité française. Il faut reconnaître au spectacle le mérite de faire sentir à des enfants l’essentiel de la problématique : l’histoire de France ne nous lègue pas une identité homogène, permanente, uniforme mais plutôt complexe, changeante et multiple ; parfois conflictuelle, conflit dû à des paramètres sociaux internes comme les luttes de classe lors de la Grande Révolution entre noblesse, bourgeoisie et sans-culotterie ou prolétariat.
Quand Ibrahim propose à ses deux camarades la djellaba de son père comme costume de druide gaulois, cela fait rire dans la salle constituée à 90% de jeunes élèves d’établissements scolaires de Malakoff. C’est à la fois drôle culturellement et cependant justifié vestimentairement si l’on a en tête l’image du druide Panoramix de la BD si célèbre… On aurait pu aller plus loin encore pour relativiser l’importance du monothéisme dans l’identité culturelle française en insistant sur le fait que les Gaulois, composante officielle de celle-ci, n’étaient nullement comme les petits français d’aujourd’hui des chrétiens, des musulmans, des juifs ou des « sans religion » mais des polythéistes, altérité plus radicale encore ! L’enjeu sur « les racines chrétiennes de la France » est là car elles sont elles-mêmes le résultat historique d’une importation culturelle moyenne-orientale et latinisée – L’empire romain devenant en Occident empire sur l’humain.
Rappel : toute identité psychologique ou culturelle est faite de croisements et d’emprunts ; elle est toujours travaillée par de l’altérité et s’en nourrit soit positivement par identification et/ou idéalisation, soit négativement par opposition et/ou exclusion. Il faudrait donc en finir avec la promotion d’identités simplistes, factices et mortifères. La vie est un je(u) infini entre même et autre. Le spectacle touche seulement du bout du doigt cette vérité anthropologique fondamentale mais c’est déjà beaucoup pour un jeune public, quelques clichés et simplifications étant nécessaires du fait précisément de son âge. À cet égard, il n’est pas impossible que le spectacle produise par la vertu pédagogique du théâtre une édification psychique au niveau conscient et/ou inconscient. Les effets en seraient alors une morale de la relativité, de la différence, de la rencontre, de la tolérance ; une éthique joyeuse du jeu avec les identités au lieu du triste et néfaste JE identitaire !
Dans la salle, ça rit beaucoup de tous ces jeux, y compris de scène. La participation riante du public atteint un sommet quand il s’agit, s’inspirant du contexte de la Révolution, de rédiger des Cahiers de doléances scolaires. Les trois personnages lisent alors des propositions réellement formulées par des élèves d’écoles des alentours avec le concours de leurs professeurs. Acclamations, cris de joie ! Le plébiscite est total et immédiat comme lorsqu’il s’agit de réclamer un goûter à 16 heures ou une reconnaissance par les adultes de la fatigue scolaire !
Ajoutons que la mise en scène et la scénographie sont très inventives puisqu’elles offrent sur scène dès le départ un ensemble d’objets et d’éléments de décor, modulables par les comédiens au fur et à mesure de l’avancée du spectacle, chaque élément contenant suffisamment de valeurs symboliques pour être aisément compris.
À l’heure des jeux sur écrans, saluons la survie dynamique du spectacle « jeune public ». Les grands peuvent y aller aussi et surtout faire découvrir ce théâtre à leur progéniture.
Jean-Pierre Haddad
Théâtre 71 – Malakoff scène nationale, 3 pl. du 11 novembre, 92240 Malakoff. Du 10 au 12 février 2022. En tournée : 16, 17, 18 février 2022 l Théâtre Jean Vilar, Montpellier (34) 7, 8, 10 mars 2022 l Le Tangram, scène nationale d’Évreux-Louviers (27) 21, 22 mars 2022 l Scène nationale de l’Essonne, Agora-Desnos, Évry (91) 6 au 16 avril 2022 l Théâtre 13, Paris (75) 28, 29 avril 2022 l Le Grand Bleu, scène conventionnée d’intérêt national Art, Enfance et Jeunesse, Lille (59)
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