Joséphine Serre, autrice, metteuse en scène et comédienne, a découvert en 2010 dans sa boîte aux lettres un portefeuille d’un certain Amer M. Elle a alors mené une véritable enquête pour découvrir à qui ce portefeuille appartenait. Elle a pu reconstituer toute la biographie de ce vieil immigré algérien, un chibani (les sages aux cheveux blancs) né en Kabylie en 1932 qui était venu travailler en France en 1954 dans le BTP. Au fil des documents trouvés dans le portefeuille, elle a pu reconstituer des pans entiers de sa vie : des notes d’hôtel, des ordonnances montrant qu’il souffrait du cœur, une carte de visite d’une femme, pianiste à Radio France avec inscrit dessus « vous êtes très cher à mon cœur »…Elle s’est alors plongée dans l’histoire de l’Algérie, a commencé à écrire Amer M et a décidé de faire le chemin inverse d’Amer, d’aller en Kabylie. Toute expérience individuelle touchant à l’universel, l’histoire d’Amer M est aussi celle Joséphine Serre qui quand elle a trouvé le portefeuille travaillait sur la mémoire, l’exil, la migration et la notion d’arrachement. Mais c’est aussi celle de de chacun de nous : quelles sont nos origines, nos racines ? Comment l’intime est-il lié à l’histoire, la politique ? Toute vie n’est-elle pas un voyage à la recherche de ce qui nous fonde, d’un paradis perdu ? Elle est aussi et surtout la vie de tous ces migrants condamnés à l’errance perpétuelle. Joséphine Serre a eu la très belle idée d’ouvrir son spectacle par un prologue racontant le retour d »Ulysse à Ithaque. Mais contrairement au mythe où la déesse Athena, protectrice d’Ulysse, dissipe l’épais brouillard qui l’entoure et lui permet de reconnaître sa patrie, Ulysse Amer M ne reconnaît pas son pays. Il est donc condamné à un éternel exil. Comme pour tous les immigrés, le temps et l’histoire ont tout bouleversé.

Ensuite vont se succéder rapidement sous forme de saynètes sans aucun ordre chronologique des moments de la vie d’Amer M et des interventions de l’auteure. Belle idée encore que cette construction kaléidoscopique où les excellents comédiens ( Guillaume Compiano, Xavier Czapla, Camille Durand-Tovar et l’autrice) jouent plusieurs rôles en changeant à vue de costumes avec en arrière plan la projection sur un mur d’une multitude de documents et de paysages. On aurait aimé cependant que certaines saynètes durent un peu plus pour laisser affleurer l’émotion qui est trop souvent absente. Pourquoi aussi distribuer au public tous ces photocopies de documents ayant appartenu à Amer M et lui demander de les faire circuler ? Quel est aussi l’intérêt de ce moment où les acteurs s’adressent directement au public pour lui raconter l’histoire de l’Algérie au XIXème et au XXème ? Joséphine Serre raconte comment lors des répétitions, elle a été amenée à faire des coupes de la première version du texte, coupes qui concernaient majoritairement l’information historique. On peut regretter que ce passage historique et didactique qui rompt le rythme n’ait pas aussi été coupé.

Malgré ces quelques réserves, c’est un spectacle d’une grande qualité qui interroge.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 20 février. Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun. 75020 Paris- mardi et jeudi à 20h, samedi à 18h et dimanche à 15h30 en diptyque avec Colette B., mercredi, vendredi et samedi à 20h, dimanche à 17h30– Réservation : 01 44 62 52 52 ou www.colline.fr


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