Ceci est l’histoire d’un modeste sous-chef de bureau employé dans une grande entreprise qui cherche tout au long de sa vie de travail à voir son chef de service pour obtenir une augmentation de salaire. Dans ce texte écrit pour le théâtre en 1970, on retrouve les caractéristiques de l’œuvre du membre de l’Oulipo qu‘était Georges Perec, fondée sur l’utilisation de contraintes formelles et mathématiques. Le point de départ du sujet a été une commande du CNRS à Perec afin d’explorer la procédure suivie par un ordinateur et les potentialités littéraires d’un algorithme. Ne fuyez pas, le résultat vous fera mourir de rire mais aussi collapser d’indignation.
Ce n’est pas une opération simple que d’aller voir son chef de service pour lui demander une augmentation. Dès que la décision aura été prise, l’employé sera confronté à une alternative : ou le chef de service est dans son bureau ou il n’y est pas. S’il y est, il faudra taper à sa porte et faire face aussitôt à une nouvelle alternative : ou bien le chef de service dit « entrez » ou bien il ne répond pas. Dans ce cas …… !
L’auteur joue avec les mots, les rythmes, les répétitions légèrement décalées. On a face à nous deux personnages, un homme et une femme interchangeables, tantôt solidaires comme des collègues de bureau, tantôt adversaires quand l’un des deux est le chef de service enfin trouvé. Répétant inlassablement les mêmes mots, les mêmes gestes, inversant leurs rôles, guettant dans un couloir percé d’innombrables portes l’opportunité d’apercevoir le chef de bureau ou attendant dans le bureau d’une collègue qu’une porte s’ouvre.
Anne-Laure Liégeois a mis en scène pour la première fois ce texte en 1995 et sa mise en scène est toujours une merveille. Devant un mur nu, derrière un bureau, Olivier Dutilloy, en costume-cravate, portant lunettes et perruque et Anne Girouard en tailleur strict, la mise en plis impeccable, sont assis. Au début de leur quête, ils articulent lentement puis, de plus en plus remontés, ils répètent les mêmes mots, pleins d’espoirs, frétillants du succès qu’il ou elle pense avoir obtenu. Enfin, remâchant leur échec, ils repartent à l’assaut. On la voit pleurer et s’humilier pour obtenir cette petite augmentation, hurlant pleine de l’espoir d’avoir réussi. Après tout ce n’est qu’une petite augmentation ! Mais le chef de service s’en sortira en offrant la médaille du travail, avec le ban et l’arrière ban des célébrités pour l’occasion, et une fête avec champagne coulant à flot, payé par l’employé méritant bien sûr. Les deux acteurs se déchaînent sur scène avant de finir toujours vaincus, misérables minuscules rouages d’une entreprise qui apparaît de plus en plus gigantesque. Pourtant ils sont encore prêts à repartir à la charge.
Pérec avait écrit une pièce jubilatoire sur la perversité subtile de la mécanique bureaucratique dans les grandes entreprises. Anne-Laure Liégeois et les deux acteurs la magnifient. Une grande pièce politique où l’on rit beaucoup.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 5 février au Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier, 75014 Paris – mardi, mercredi et vendredi à 20h, jeudi à 19h, dimanche à 16h –
Réservations : 01 45 45 49 77 ou billetterie@theatre14.fr
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