Pour le 400e anniversaire de la naissance de Molière, Éric Ruf, l’Administrateur de la Comédie Française, a confié à Yohann Gasiorowski, pensionnaire et aussi musicien, de se lancer dans un spectacle musical. Celui-ci s’est intéressé à la collaboration de ceux que Madame de Sévigné appelait les « deux Baptiste », Molière et Lully, qui inventèrent la comédie-ballet pour divertir le Roi. Ils créèrent onze spectacles, dont deux immenses succès, Le Bourgeois gentilhomme et Psyché, souvent écrits dans l’urgence car les désirs du Roi n’attendaient pas. Pour les comédies-ballets Molière « cousait » des entrées de ballet à l’intérieur de la comédie, mais finalement Lully préféra l’Opéra, qui donnait la primauté au musicien, ce qui provoqua leur rupture.
Yohann Gasiorowski a donc imaginé un « impromptu », où comédiens de la Troupe et musiciens vont chercher ce qu’ils veulent raconter de la relation de ces deux célébrités, et « impromptu musical » car ils sont aussi partis à la recherche d’un répertoire allant de Lully à Charpentier (qui créa la musique pour Le malade imaginaire après la rupture des deux hommes) et d’autres. Vincent Leterme a assuré, comme il l’avait déjà fait pour d’autres spectacles musicaux de la Comédie Française, la direction musicale et les arrangements. Le titre choisi, issu d’un vers des Contemplations de Victor Hugo, « un affreux soleil noir d’où rayonne la nuit », renvoie à la fois à la relation ambivalente au pouvoir qu’avaient Molière et Lully et aux fêtes nocturnes célèbres de Louis XIV.
Dans le cadre chaleureux du Studio de la Comédie Française, sous des éclairages chauds et doux qui évoquent les éclairages à la chandelle du grand siècle, six acteurs (Yohann Gasiorowski, Elsa Lepoivre, Serge Bagdassarian, Birane Ba, Elissa Alloula et Claïna Chavaron) sont réunis ainsi que deux musiciens à la basse de violon (Elena Andreyev en alternance avec Cécile Vérolles) et au théorbe (Nicolas Wattine en alternance avec Damien Pouvreau). Tantôt autour de la table où ils travaillent et discutent du projet, tantôt enfilant rapidement une perruque ou une robe pour devenir Molière ou Lully, Armande ou Madeleine Béjart et même le Roi. On passe avec beaucoup de fluidité d’hier à aujourd’hui, de l’histoire de la relation de Lully et Molière à des précisions sur ce que sont les comédies-ballets, des phases de jeu proprement dit aux moments de réflexion et d’échanges entre les comédiens. Bien que non spécialistes du répertoire baroque, ils se révèlent brillants dans les chansons de ce répertoire. Dès l’introduction Elsa Lepoivre, en robe blanche aux drapés délicats, plonge dans les arabesques virtuoses de l’air de Psyché. On aurait envie de l’applaudir mais quand elle se retourne pour sortir de la lumière, on voit toutes les pinces qui serraient sa robe pour la rendre moulante, comme si on nous laissait entrevoir le début des réflexions sur le spectacle. Les comédiens n’hésitent pas à se lancer, enveloppés dans les manteaux tirés d’une malle de costumes, dans le « Chœur des trembleurs » de l’Opéra Isis où Lully, bien avant Purcell, avait fait trembloter la voix des chanteurs pour signifier le froid. Il suffit à Yohann Gasiorowski d’enfiler un gilet et un turban doré et il est le roi, mais quand il souffle à Birane Ba « pas la perruque pour Molière » et que celui-ci la garde on est à nouveau dans ce travail de recherche des comédiens, et c’est très drôle.
Ce spectacle est un petit bijou. Intelligent et drôle il permet d’admirer une nouvelle fois la virtuosité de la troupe dans le jeu, cela ne surprend pas, mais aussi dans le chant baroque et là c’est plus inhabituel.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 6 mars au Studio Théâtre de la Comédie Française, Galerie du Carrousel du Louvre, Place de la Pyramide inversée, 99 rue de Rivoli, 75001 Paris – à 18h30, relâche les lundis et mardis – Réservations : 01 44 58 15 15
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