La pandémie nous a tous contraints à jeter un nouveau regard sur les contradictions et les paradoxes de notre époque. Ainsi faut-il privilégier la liberté individuelle au risque de mettre en danger le fonctionnement des services hospitaliers ou encore quelle place convient-il de laisser à la compassion si notre confort est en jeu ? Cela fait quelques années que l’autrice et metteuse en scène Tiphaine Raffier s’interroge sur des questions questions morales et scrute nos peurs et nos angoisses.
Elle s’attaque cette fois aux Œuvres de miséricorde de l’Évangile selon Saint Matthieu. Elle en retient quatre : assister les malades, prier pour les vivants et pour les morts, donner à boire aux assoiffés, visiter les prisonniers. Loin d’en faire une lecture religieuse, elle en tire, en s’appuyant aussi sur le Décalogue la série de films de Krzysztof Kieslowski, un spectacle en neuf chapitres sur des questions qui touchent à la morale et à la compassion. « Qu’est-ce que faire le bien, qu’est-ce que faire le juste ? » Sur ces questions, elle construit un spectacle, où naissent des situations inscrites dans notre époque et des personnages, que l’on suit un moment. Pas de structure narrative linéaire, un personnage par œuvre (de miséricorde), une grande question pour chacune des histoires, qui se font parfois écho de façon subtile. Les questions esthétiques se mêlent aux dilemmes moraux, à travers les conférences sur la musique que fait l’un des personnages (excellent Sharif Andoura). Au fur et à mesure de la succession des tableaux, un léger vertige s’instaure car les émotions se multiplient et les choix moraux s’avèrent tout sauf simples. Des petites failles rendent les choix plus difficiles, des contradictions apparaissent entre ce qui est souhaité et ce qui advient. La miséricorde humaine est-elle un mythe ? Régulièrement sonne une alarme et des affiches « nous sommes désolés » apparaissent sur les murs, annonçant la catastrophe qui menace. Dans la dernière séquence dans une ambiance post-apocalyptique, les survivants se retrouvent face aux mêmes questions éthiques. Face à l’effroi d’une crise, qui menace leur vie, les personnages oublieront-ils leurs mœurs policées en choisissant de chercher à se sauver à tout prix ou choisiront-ils l’empathie et la solidarité ?
La scénographie nous installe dans des espaces clos – hôpital, prison, salle d’un tribunal, cellule d’un prisonnier – aux issues, portes et fenêtres plus ou moins accessibles. Les titres des Œuvres sont projetés sur le mur du fond de scène. Le regard du spectateur est par moment doublé par celui d’une caméra qui permet d’entrer dans la subjectivité d’un personnage en le filmant au plus près. Les acteurs ( Sharif Andoura, Salvatore Cataldo, Éric Challier, Teddy Chawa, François Godart, Camille Lucas, Édith Mérieau, Judith Morisseau, Catherine Morlot, Adrien Rouyard) forment un collectif soudé. Ils sont accompagnés sur scène par les musiciens de l’Ensemble Miroirs. La musique, avec en particulier la voix de haute-contre de Guy-Loup Boisneau, et la danse, qui libère les corps (Salvatore Cataldo), contribuent à la beauté du spectacle.
Sur des questions peu traitées au théâtre un spectacle dont l’originalité, la cohérence et la beauté impressionnent.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 28 janvier au Théâtre Nanterre-Amandiers (en coréalisation avec le Théâtre de l’Odéon), 7 avenue Pablo Picasso, 92022 Nanterre – du mardi au vendredi à 19h30, le samedi à 18H, le dimanche 15h – Réservations : 01 46 14 70 00
En tournée ensuite : du 3 au 12 février au TNP de Villeurbanne, 23 et 24 février au CDN de Lorient, 2 au 4 mars Comédie de Saint-Étienne, 9 au 11 mars Théâtre de la Cité de Toulouse, 16 au 19 mars Théâtre Olympia de Tours, 24 et 25 mars le Phénix à Valenciennes, 31 mars Le Préau à Vire, du 6 au 9 avril au Théâtre du Nord de Lille-Tourcoing
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu