L’École des maris, comédie en trois actes et en vers, très jouée en 1661 à l’époque de Molière est peu montée aujourd’hui même si elle préfigure L’Ecole des femmes représentée un an après. L’intrigue est d’ailleurs assez proche : deux sœurs, Léonor et Isabelle, ont été confiées à la mort de leur père à deux frères, Ariste et Sganarelle, chargés de les éduquer et de les épouser ou d’en disposer. Ariste, l’aîné, choisit d’élever Léonor en toute liberté considérant que l’école du monde (…) instruit mieux que ne fait aucun livre alors que Sganarelle, comme Arnolphe dans L‘Ecole des femmes, emprisonne Isabelle pour l’épouser et ne pas être cocu. Mais Isabelle, amoureuse de Valère, va réussir grâce à ses stratagèmes à échapper à la tyrannie de son tuteur pour rejoindre Valère.

 Avoir joué Sganarelle dans la mise en scène de René Loyon a donné envie à Alain Batis, créateur de la compagnie La Mandarine Blanche, de mettre en scène cette pièce pour en montrer la modernité et la mettre en résonance avec les questions particulièrement actuelles d’égalité hommes femmes, d’éducation et de liberté. Tout, scénographie, costumes, musique et jeu des acteurs, allient à la perfection dépouillement et spectaculaire.

La scénographie signée Sandrine Lamblin est particulièrement ingénieuse : rien de réaliste mais une véritable boîte à jeu inspirée du kamishibaï. Le décor est constitué d’un plateau en bois avec des trappes, des rails et des éléments mobiles évoquant judicieusement les différents lieux de la pièce et l’enfermement d’Isabelle. Les costumes de Jean-Bertrand Scotto qui entremêlent les époques font aussi sens. Sganarelle, tout de noir vêtu, dans une élégante austérité, qu’il impose également à Isabelle, s’oppose à son frère Ariste vêtu d’un costume bigarré à pattes d’éléphant typique des années 70. Le plus âgé étant le plus moderne et le plus libéral dans l’éducation. N’y a-t-il pas là de la part d’Alain Batis un clin d’œil politique à la remise en cause des idées de 1968 par les nouveaux conservateurs ? La musique n’est pas un simple accompagnement mais avec trois instruments populaires et classiques que sont l’accordéon, la guitare électrique et la harpe joués par les comédiens, elle exprime la tension entre les personnages, exalte les sentiments et participe au comique. A certains moments, les vers deviennent chant.

Le jeu des comédiens et des comédiennes est en tout point remarquable et ne sombrent jamais dans l’excès. Boris Sirdey compose un Sganarelle certes comique (ses multiples précautions vont se retourner contre lui comme toujours chez Molière) mais il n’est jamais totalement ridicule. Son despotisme, son assurance, sa vanité et son aveuglement le rendent inquiétant comme le sera Arnolphe dans l’Ecole des femmes mais aussi tragique par sa solitude finale. Marc Ségala joue avec justesse et une grande maîtrise l’honnête homme. Blanche Sottou campe une Isabelle plus rouée que naïve. Dans une scène très comique, elle se joue de Sganarelle sous son nez en batifolant avec Valère joué par Anthony Davy. Alain Batis a fait de lui un jeune homme immature en culotte courte dirigé par son valet interprété par Théo Kerfridin excellent comédien, mime, chanteur, musicien. La maîtresse, Leonor (Julie Piednoir) et surtout sa servante, Lisette

(Emma Barcaroli ) incarnent des femmes aux propos révolutionnaires et féministes. Tout finit bien comme dans toute comédie. Mais si Isabelle réussit à se libérer du despotisme de Sganarelle, ne tombe-t-elle pas trop rapidement dans un autre enfermement en se jetant dans les bras de Valère ?

Une pièce résolument féministe qu’il faut voir absolument. 

Frédérique Moujart

Jusqu’au 19 décembre- Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie, Route du champ de Manoeuvre, Paris 12ème – Réservation : 01 48 08 39 74 et www.epeedebois.com – jeudi et vendredi à 21h, samedi à 16h30 et 21h et dimanche à 16h30

Puis en tournée dans toute la France jusqu’au 14 avril 2022.


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