Marc Lainé, le nouveau directeur de la Comédie de Valence nous a habitués à croiser théâtre, cinéma et musique en live. Il nous emmène dans un nouveau voyage, pas loin cette fois, entre Paris et Saint-Quentin, dans un train où se fait la rencontre d’un couple.

Elle observe par la fenêtre les paysages banals. Il quitte son livre pour lui parler et entamer le jeu de la séduction. On est en 1969, il est professeur de philosophie et a « choisi » d’enseigner en lycée technique à Saint Quentin. Il faut avouer que, reçu dernier à l’agrégation, il n’avait pas un grand choix, mais on sent qu’il lui plaît de dire que c’était un engagement. Elle est employée au BHV, issue d’un milieu populaire et rend visite à ses parents. Il va la convaincre de reprendre des études de philo à la Fac de Vincennes. La suite de leur histoire, pendant sept années, on la découvre au cours de leurs voyages dans ce train par les fenêtres duquel défilent les paysages mineurs du titre. Pour elle, une émancipation par les études et la découverte du féminisme, pour lui, l’écriture d’un roman primé et les soirées avec ses amis intellectuels de gauche et, pour les deux, l’érosion de leur histoire d’amour. D’indélicatesses en goujateries, il apparaît de plus en plus comme un bourgeois qui veut se donner bonne conscience et en réalité reproduit avec elle les rapports de classe et de genre qu’il disait vouloir combattre.

L’originalité du dispositif scénique imaginé par Marc Lainé s’imprime dans la mémoire. En fond de plateau côté cour, un compartiment avec ses banquettes en skaï accueille le couple. Côté jardin un écran où s’affichent les « paysages mineurs » du titre et les visages en gros plan de cette femme et de cet homme dont on suit, au plus près, les dialogues filmés par une caméra qui glisse sur le plateau. En dessous tourne un petit train électrique dans une maquette de paysages. Voyage immobile dans l’espace mais aussi dans le temps. Le passage d’une année à l’autre se fait comme le passage d’un train dans un tunnel. La lumière baisse, le couple dans le compartiment se lève, enfile veste ou imper, une nouvelle année s’affiche sur l’écran.

Installé au centre du plateau, le violoncelliste Vincent Segal improvise en épousant les suspens et les vibrations du spectacle. Petit sourire satisfait aux lèvres, avec l’assurance de sa classe et de sa qualité d’intellectuel, sûr de lui, Vladislav Galard renifle avec bonheur le livre qu’il a écrit et qui a été primé. Amoureux certes, mais peu à peu elle va l’agacer quand elle commence à décider de sa vie dans un sens qui n’est pas celui qu’il avait envisagé pour elle. Héritage inconscient du patriarcat, il retrouve des réflexes de grossièreté, de mépris de classe qu’il cherche à contenir sans y parvenir. Loin de la caricature, il donne au personnage toute sa complexité. Adeline Guillot, sorte de Jean Seberg au regard clair et au sourire lumineux, déroule toute la gamme des sentiments. Regardant avec attention ces paysages mineurs qui défilent et qu’elle apprécie, elle passe de l’amour à l’agacement et au désamour face à cet homme qui n’a rien compris et la déçoit. Si lui est maître de la parole, elle répond par ses regards, ses silences qui disent tant. Au monologue de l’homme au début répond son monologue à elle à la fin. Avec son violoncelle il rejoint Vincent Segal et tous deux jouent de concert tandis qu’elle retrouve le calme de la contemplation des paysages mineurs.

Éclairage fin et sensible sur le patriarcat et le dévoiement des idéaux, un des plus beaux spectacles de cette fin d’année, à voir absolument !

Micheline Rousselet

Jusqu’au 12 décembre au Théâtre 14 – 20 avenue Marc Sangnier, 75014 Paris – mardi, mercredi, vendredi et samedi à 20h, le jeudi à 19h, le dimanche à 16h – Réservations : 01 45 45 49 77

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