Dans ce court texte, Blaise Cendrars, amputé sur le champ de bataille après avoir été blessé au bras droit par un éclat d’obus en 1915, raconte son séjour à l’hospice religieux de Châlon-sur-Marne pour sa convalescence. Il évoque le trajet cauchemardesque de l’évacuation précipitée avec trois autres blessés, le froid, la souffrance et l’arrivée de nuit dans le hall désert et glacé de l’hospice, la terreur d’y être oublié et de mourir seul. Sa détermination à renaître, ses efforts de rééducation peu conventionnels – il a perdu la main avec laquelle il écrivait – l’amèneront à une complicité avec Mme Adrienne, l’infirmière que tous les blessés aiment, dont tous voudraient être le préféré, qui encourage, console, soigne avec précision et douceur. Elle lui demandera de partager sa chambre avec le « petit berger des Landes » blessé de 72 éclats d’obus, de lui raconter des histoires pour l’aider à supporter la souffrance inhumaine qu’il subit chaque jour quand on le soigne, puis, plus tard, celle d’un homme trépané qui a perdu la parole.
Jean-Yves Ruf, le plus souvent metteur en scène, a souhaité remonter sur un plateau comme acteur et il a choisi un seul en scène avec ce texte de Blaise Cendrars. Avec une langue simple et pleine de vie, des phrases brèves ou qui s’allongent jusqu’à clouer le lecteur, l’écrivain y peint les horreurs de la guerre et la souffrance des hommes, mais fait aussi le portrait d’hommes et de femmes qui se révèlent dans ces circonstances terribles. Humanité, bonté intelligente, foi dans les capacités humaines mais également mesquinerie, bêtise satisfaite, morgue. Apparaît aussi, en filigrane, le portrait de l’écrivain lui-même, en empathie avec ses frères de souffrance et qui comprend, sous l’influence de Mme Adrienne, qu’en s’occupant des autres il va guérir et retrouver goût à la vie.
Avec son complice Jean-Christophe Cochard, Jean-Yves Ruf a mis en scène ce récit, dans une scénographie légère, des draps tendus, un lit, une petite table et une chaise en fer. C’est la lumière tantôt froide, tantôt plus chaude, éclairant directement l’acteur ou le laissant un peu dans l’ombre, qui va jouer le rôle majeur. Bras collé au corps sous sa veste dont la manche vide rappelle le traumatisme de l’amputation de Cendrars, Jean-Yves Ruf parfois debout, parfois assis, fait naître les images, la douleur des blessés, la violence de la guerre, l’humanité et l’intelligence de Mme Adrienne au service des blessés ou à l’inverse la sécheresse technocratique du médecin gonflé d’orgueil stupide. Le jeu du comédien est simple et retenu, c’est la voix au service du texte qui importe, elle épouse toutes les émotions. De la souffrance et de l’angoisse à se retrouver seul, on passe à l’humour de la détermination de l’écrivain à imaginer le moyen de se rééduquer et à la tendresse de l’évocation de Mme Adrienne. La compassion face à la souffrance du petit berger des Landes laisse place à la sécheresse du ton et à la brièveté tranchante de la colère rentrée quand il s’agit de peindre le Médecin-Général inspecteur des Armées.
Un acteur d’une finesse exceptionnelle au service d’un texte magnifique d’humanité. A voir absolument !
Micheline Rousselet
Jusqu’au 11 décembre aux Plateaux Sauvages, 5 rue des Plâtrières, 75020 Paris – du lundi au vendredi à 19h, le samedi à 16h – Réservations : lesplateauxsauvages.fr
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