Écrite par une jeune autrice suédoise reconnue, Sara Stridsberg, la pièce s’inspire de la vie de la Reine Christine de Suède (1626-1689). Elle est l’occasion pour l’autrice de donner la parole aux femmes et de soulever un certain nombre de questions sur le genre et le pouvoir, sur la domination et l’autorité, sur le féminisme et la féminité et sur la passion et la raison.
L’héroïne est la « Fille Roi », ainsi qu’elle se nomme et non Reine car « qu’est-ce qu’une Reine, un roi sans culotte, une anomalie ou une utopie ? » Son père l’a élevée comme un garçon promis au trône, faisant d’elle une fille intelligente, brillante, à l’esprit libre, attirant à sa cour des savants et des philosophes. Elle a des caprices de Roi, peut mener les troupes à la bataille, mais les autorités du Royaume en la personne du « Pouvoir » lui rappellent qu’elle doit se marier pour pouvoir perpétuer la lignée royale et justement elle a un promis, Love. Il l’aime mais elle ne veut pas être un réceptacle, d’autant moins qu’elle est amoureuse de Belle qui l’aime aussi. Elle la forcera à se marier mais ne sera pas libre pour autant. Belle morte, son petit philosophe mort aussi, elle reste seule. Elle abdiquera alors et partira vers l’Italie, laissant le royaume à Love.
Christophe Rauck, désormais directeur du Théâtre des Amandiers à Nanterre, met en scène la pièce, qui aurait gagné à être un peu raccourcie. La Fille Roi est comme enfermée dans une grande boîte de verre, au sol couvert d’une épaisse couche de neige (magnifique scénographie d’Alain Lagarde magnifiée par les jeux d’éclairage subtils d’Olivier Oudiou). Elle y reçoit son amoureuse Belle, mais en sort parfois pour rencontrer le fantôme ensanglanté de son père mort à la bataille, son amoureux jeune et tout fou, Love, le Pouvoir qui lui rappelle les règles du pouvoir, le philosophe avec qui elle dispute du pouvoir et de la féminité et enfin sa mère que l’on a éloignée d’elle. Les costumes jouent sur l’inspiration historique (longues robes de la Fille-Roi et de Belle) comme sur ce que peuvent avoir de toujours actuelles les questions soulevées (costume de conseiller du pouvoir ou du philosophe)
Tous les acteurs choisis par le metteur en scène donnent à la pièce son rythme et en servent la langue, opposant le bouillonnement de leur parole à ce monde glacé et corseté où est enfermée la Fille Roi. Emmanuel Noblet est le fiancé promis depuis l’enfance, sautant partout empli d’impatience. Totalement immature il ne peut qu’amuser la Fille Roi sans la faire changer d’avis. Habib Dembélé est le philosophe avec qui la Fille Roi aime débattre mais qu’elle « éteint » au sens propre quand ce qu’il dit la contrarie et qu’elle refuse de laisser partir parce qu’elle aime qu’il soit là. Christophe Grégoire a le calme et la froideur du conseiller que la Fille Roi entend, mais refuse d’écouter et qui crée autour d’elle une barrière d’interdits. Ludmilla Makowski est Belle, amoureuse joyeuse, malicieuse, puis sacrifiée par le caprice de la Reine qui ne veut pas apparaître comme amoureuse d’une femme. Murielle Colvez a la mélancolie et l’inquiétude de la mère que l’on a éloignée de sa fille et qui a peur qu’elle ne change. Thierry Bosc apparaît chaque fois que sa fille l’appelle, en fantôme ensanglanté du Roi mort. Affectueux avec sa fille, il porte des jugements sur l’amour et le mariage, sur le pouvoir, sur la liberté du prince fort peu conventionnels. Présente dans toutes les scènes, Marie-Sophie Ferdane est formidable dans le rôle de la Fille Roi. Jouant de sa voix tantôt presque enfantine, tantôt grave, s’emballant ou au contraire ralentissant, elle est cette Fille Roi à la liberté entravée, intelligente mais capricieuse et dictatoriale. Elle se pose des questions sur ce pouvoir dont elle a hérité, mais dont elle ne peut faire ce qu’elle veut. Refusant d’être une épouse, dégoûtée par l’idée d’enfanter, elle voudrait rester avec Belle ce que lui interdisent les convenances. Portant avec talent la complexité de ce personnage, elle est le feu dans cet univers glacé.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 18 décembre au Théâtre Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, 92000 Nanterre -Mardi et mercredi à 19h30, jeudi et vendredi à 20h30, samedi à 18h, dimanche à 15h – Réservations : 01 46 14 70 00 ou nanterre-amandiers.com
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