En 1972, le cinéaste Werner Fassbinder signait une mini-série en cinq épisodes, qui menait les téléspectateurs, avec humour et optimisme, dans le quotidien d’une famille de la classe ouvrière de Cologne. La tonalité de la série était assez différente de l’univers habituel de Fassbinder, fraîche, joyeuse, optimiste, empreinte d’espoir et d’énergie positive.
Julie Deliquet, toute nouvelle directrice du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, qui s’est déjà illustrée en adaptant pour la scène des œuvres cinématographiques (Fanny et Alexandre puis Un conte de Noël) a été séduite par l’écriture de Fassbinder et les héros et héroïnes qu’il met en scène. C’est la vie qui est là : des ouvriers et des ouvrières, des employées, des retraités s’aiment, se disputent, pleins d’énergie, de générosité et de fantaisie.
Les Krüger-Epp sont une famille typique de la classe ouvrière allemande des années 1970. Le fils Jochen, ouvrier toujours prêt à lutter pour plus de justice sociale, tombe amoureux de Marion, employée du journal local, jeune femme moderne et émancipée. Leur idylle est vue à la fois à travers le prisme de la famille et à travers celui du milieu professionnel. Des parents plutôt conservateurs, une Mamie fantaisiste, originale, combative et impertinente que les parents hébergent car les retraites sont trop maigres pour payer un loyer, une sœur Monika parquée à la maison par un mari misogyne. Les relations s’articulent aussi autour de grandes questions professionnelles et sociales : l’émancipation des femmes, la garde des enfants -longtemps frein au travail des femmes en Allemagne-, la dignité du troisième âge, l’écart social entre ouvriers et employés ancré dans les esprits, la défense des ouvriers, les relations dans l’entreprise avec les ouvriers étrangers et les contremaîtres, le désir d’être maître de son travail.
Le plateau conçu par Julie Deliquet crée un vaste espace, où vie familiale, sociale et professionnelle se croisent. On y mange, on s’y habille ou se déshabille, on s’y lave sous la douche après le travail. Mais c’est aussi le lieu où se retrouvent les ouvriers à la fin du travail, où l’on discute du choix des contremaîtres, de la formation, des salaires, où l’on construit des revendications, un monde où la cogestion aurait sa place. Le passage d’un univers à l’autre se fait avec une grande fluidité.
Beaucoup d’artistes de la série appartenaient à la troupe de Fassbinder. Or, depuis qu’elle fait de la mise en scène, la notion de troupe est au cœur du projet de Julie Deliquet. Ce spectacle en est une belle démonstration. Les personnages forment une famille aux âges variés, en perpétuelle recherche d’une amélioration de son quotidien, avec courage et détermination. Mikaël Treguer incarne Jochen, prolo chic toujours prêt à argumenter pour défendre ses idées généreuses. Ambre Febvre est Marion, une employée, moderne et décidée à aller de l’avant quoiqu’en pense son amie interprétée par Agnès Ramy, qui estime que Marion fait une mésalliance en épousant un ouvrier. Lina Alsayed est la sœur de Jochen qui cherche à s’émanciper d’un mari violent et misogyne, On admire particulièrement Évelyne Didi, la grand-mère de Jochen, vive, spontanée, insolente, capable de déplacer les montagnes sans aucune hésitation pour réaliser ses projets, toujours prête à se chamailler avec son gendre. Tous les autres (Julie André, Eric Charon, Christian Drillaud, Olivier Faliez, Zakariya Gouram, Brahim Koutari, David Seigneur et Hélène Viviès) sont justes et convaincants.
Dans cet après 68 règne un souffle de contestation, un esprit de générosité, un espoir optimiste de transformation des relations de travail dans l’entreprise, sans illusion car la cogestion ce n’est pas si facile, un besoin de construire une société plus heureuse et cela parle toujours aux spectateurs d’aujourd’hui.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 17 octobre au Théâtre Gérard Philipe, 59 boulevard Jules Guesde, 93200 Saint-Denis – Réservations : 01 48 13 70 00 ou reservation@theatregerardphilipe.com – du mercredi au dimanche à 19h30
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