Anne-Laure Liégeois nous invite dans le voyage à travers la vie de ce jeune homme, paresseux, bagarreur, orgueilleux, un rien vaurien, un brin prétentieux et fuyant la réalité par le mensonge. Né les pieds dans la boue, il rêve d’une vie d’aventures, qui lui apportera richesse et amour. Son mot d’ordre : « être soi-même ». Au terme de ses années de vagabondage, il découvrira que le bilan de sa quête apparaît plutôt comme une égoïste « vie pour soi ». Des amours il y en a pourtant eu dans cette vie : Ingrid, la fiancée d’un autre qu’il a séduite puis abandonnée, la fille du roi des Trolls qui veut l’attirer dans le monde des démons avec leur devise « suffis-toi toi-même », Anitra la belle Orientale qui le délestera de ses dernières économies et Solveig qu’il a abandonnée et qu’il retrouvera, toujours fidèle, à la veille de sa mort. Des aventures aussi. On le quitte fuyant la Norvège et le Royaume des démons et des trolls pour le retrouver trente ans après au Maroc où il a fait fortune comme marchand d’esclaves. Trahi par ses associés il perd tout, mais s’impose comme prophète dans une tribu. Obligé de fuir, il se réfugie dans le désert où il se ruine à nouveau, se réfugie en Égypte dans un asile d’aliénés, dont il devient l’Empereur. L’aventure touche à sa fin. Il lui reste à revenir, vieux et pauvre, vers la Norvège, non sans comprendre, par le jeu d’une étonnante rencontre avec un mouleur de boutons qu’il n’était qu’un bouton raté qu’il faudra refondre, et que le vrai bonheur était tout près avec Solveig.
Anne-Laure Liégeois a fait feu de tout bois pour nous entraîner dans ces aventures à travers la terre, du monde réel à celui des légendes nordiques, avec ces rennes qui vous entraînent au dessus des cimes, ces cochons qui s’envolent et ces chevaux qui s’élancent pour enlever des femmes. La chevauchée fantastique de Peer Gynt avec sa mère mourante pour confier son âme à Saint Pierre est ainsi à la fois poétique et déchirante de douleur. La scénographie d’Aurélie Thomas, associée à la metteuse en scène, utilise tout le vaste espace du théâtre. Peer Gynt sort de la scène, revient par une des grandes portes latérales du théâtre, passe dans l’allée centrale au milieu des spectateurs, jeune et conquérant, puis vieillissant et misérable enroulé dans son manteau gris. Solveig passe au fond de la salle sur un praticable comme échappée d’un rêve de Peer Gynt. De simples toiles posées au sol permettent d’enlever d’un mouvement rapide les personnages et les accessoires qui y sont posés et de passer d’un univers à l’autre. Grises et soulevées par un ventilateur, elles deviennent vagues menaçantes du périlleux voyage de retour. Des nuages descendent des cintres, la neige tombe, le Sphinx de Gizeh s’invite sur la scène. Les costumes de Séverine Thiébault contribuent aux passages du réel à l’imaginaire, du costume de jeune paysan norvégien de Peer Gynt au caftan qu’il porte en Orient, de la robe de danseuse du ventre d’Anitra aux costumes des trolls. La musique de Grieg, en particulier la chanson de Solveig vient comme un doux rappel.
Trois acteurs professionnels, Olivier Dutilloy dans le rôle de Peer Gynt à cinquante ans, Marc Joncourt dans celui du mouleur de boutons et Laure Wolf dans celui de la mère, entourent les comédiennes et comédiens amateurs du Théâtre du Peuple. En effet les règles de ce théâtre, dont la devise « Par l’art pour l’humanité » est inscrite en haut de la scène, imposent d’employer deux-tiers d’amateurs. Rappelons que ce théâtre fut créée en 1895 par un industriel de Bussang, Maurice Pottecher, qui encourageait ses ouvriers à porter l’utopie humaniste et poétique du théâtre populaire en tant que spectateurs mais aussi acteurs. Tous sont formidables et il y a quelque chose d’émouvant dans le fait que le jeune Peer Gynt soit interprété par un amateur, Ulysse Dutilloy, le fils d’Olivier et d’Anne-Laure Liégeois, comme une belle image du passage de témoins entre deux générations.
Quand, à la fin, la scène s’ouvre sur les arbres majestueux qui entourent le théâtre et que Peer Gynt sort, on pense aux paroles de Solveig « Ton voyage est fini Peer, tu as enfin compris le sens de la vie. C’est ici chez toi et non dans la vaine poursuite de tes rêves fous à travers le monde que réside le vrai bonheur »
Micheline Rousselet
Du 3 juillet au 1er août, du jeudi au dimanche à 15h – Théâtre du peuple, 40 rue du Théâtre, 88540 Bussang – Réservations : 03 29 61 50 48 ou reservation@theatredupeuple.com ou www.theatredupeuple.com
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