C’est un puzzle familial qui nous est proposé, un puzzle dont les pièces vont peu à peu, et non sans difficulté, s’adapter. Des années quarante à aujourd’hui on va parcourir l’histoire et le temps, passant de la France à l’Autriche, des studios de télévision à Munich et à Mathausen. Tout semble presque classique au début, un mariage, un peu étrange tout de même puisque le marié semble avoir disparu et que la mariée, Esther, ne tarde pas à s’enfuir. Et pourquoi brusquement ne peut-elle plus marcher sans qu’il y ait une raison physique ? Quant à la famille, elle n’est pas banale non plus. Une mère un peu survoltée, spécialiste des crêpes que tout le monde confond avec des blinis, un frère portant en étendard un handicap qui l’empêche de faire quoique ce soit, mais ne nuit pas à son sens de la répartie fort développé, un père plutôt protecteur mais qui se laisse porter, car ce sont les femmes qui, sur quatre générations, sont au cœur de cette histoire. On fait des allers et retours entre le présent et le passé, d’une génération à l’autre et peu à peu la vérité se fait jour.

Stéphane Guérin aime parler de transmission familiale. De la transmission à la mémoire il n’y a qu’un pas, ce qui l’a poussé à s’intéresser à la psychogénéalogie, une méthode peu connue en France qui cherche les raisons de troubles, souvent physiques, dans les mémoires familiales oubliées ou cachées. Sur ce sujet qui pouvait être grave, il a écrit un texte qui évite complètement le pathos, privilégie les situations que l’on n’attend pas et les répliques drôles. Les dialogues sont vifs, car dans cette famille on a la répartie facile, parfois loufoques mais toujours emplis d’humour.

La mise en scène de Salomé Villiers instaure immédiatement le climat d’étrangeté qui convient à la pièce. Un homme apparaît dans l’ombre, se nomme, dit qu’il va raconter son histoire. Comme dans le brouillard de la mémoire, des silhouettes apparaissent, semblant figées avant de s’animer pour une scène de mariage. On saute dans le temps, on revient en arrière, on passe d’une génération à l’autre, d’un personnage à l’autre sans jamais perdre le fil. Des sons, de la musique, un air d’accordéon, une chanson « J’attendrai le jour et la nuit, j’attendrai toujours ton retour », cela suffit à guider le spectateur.

Six acteurs incarnent avec talent toute cette famille. Brice Hillairet incarne Marcel, l’arrière-grand-père passant comme une ombre lointaine, tragique, et pourtant bien présent. Pierre Hélie est Hervé, le frère surprenant, extravagant, souvent inattendu mais tendre finalement. Bernard Malaka fait un numéro drôlissime en animateur d’émission littéraire. Les femmes ont la part belle. Hélène Degy passe du rôle tragique de l’arrière-grand-mère à celui d’Esther avec toutes ses questions et sa volonté de savoir. La palme revient à Raphaëline Goupilleau, sommet d’humour, excellant dans l’art d’éviter les sujets qu’elle n’a pas choisis et dans les réparties acides. Il faut l’entendre raconter sa soirée à l’Opéra « Si elle a rien vu à Hiroshima pourquoi elle le répète pendant trois heures » ou asséner à son époux « Bref, on évite le passé, le présent et l’avenir, tous les sujets qui fâchent ! »

Une histoire de famille qui nous fait voyager dans l’histoire et la psyché des personnages avec un humour ravageur.

Micheline Rousselet

Du 7 au 31 juillet au Festival OFF d’Avignon – Théâtre Buffon – 18 rue Buffon, 84000 Avignon – Réservations : 04 90 27 36 89

Bienvenue sur le blog Culture du SNES-FSU.

Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.

Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu