Une meneuse de revue, « la fille », et ses deux boys évoquent les tournées, les gestes, les entrées, la gloire puis la carrière qui s’étiole, les Boys qui se succèdent au gré des amours ou des hasards. On plonge dans le souvenir de la scène avec les obsessions des artistes, ce tabouret mystérieux objet emblématique de la revue, ce mantra répété par la fille, « lent et désinvolte », que reprennent les Boys légèrement ironiques. Splendeurs et misères de la vie des artistes en tournée.
La pièce a été écrite par Jean-Luc Lagarce en 1988 juste après qu’il a appris sa séropositivité qui à l’époque équivalait à une mort annoncée. « La fille », ainsi qu’il appelle la meneuse de revue, dit « Jouons quand même et faisons semblant et trichons jusqu’aux limites de la tricherie, l’œil fixé sur ce trou noir où je sais qu’il n’y a personne ». Dans ce trou noir, on peut penser retrouver l’obsession de Jean-Luc Lagarce pour l’annonce de la mort qui guette et que l’on retrouve dans ses grandes pièces. Mais il introduit aussi une distance à la mort par de l’humour et de l’ironie. Les deux boys rappellent qu’ils succèdent à d’autres, au début le mari et l’amant. Puis d’autres sont venus au gré des amours ou des hasards. Dans ce triangle amoureux et esthétique la fille et ses boys sont jeunes, beaux et élégants comme dans un rêve. La fille a besoin d’être aimée, admirée, protégée comme tous les artistes. Tous trois doivent continuer jusqu’au bout, l’air de rien. On retrouve dans la pièce la tendresse de Jean-Luc Lagarce pour les artistes et son goût pour les tournées.
Chloé Bellemère a imaginé un écrin bordé de voiles transparents, froid et blanc comme l’univers de l’hôpital mais doux aussi. Glysleïn Lefever, à la fois actrice, danseuse et chorégraphe assure la mise en scène de la pièce. Les entrées, les sorties de la fille et des boys sont précises et élégantes. La fille en peignoir de soie blanche entre « de façon lente et désinvolte ». Elle marche en diagonale pour ressortir sur le côté, revient par l’autre côté, ressort suivie par les deux boys en noir. Elle chantonne la chanson de Joséphine Baker « Ne me dis pas que tu m’adores, mais pense à moi de temps en temps », qui revient comme un leitmotiv. La chanson s’élève parfois ralentie comme si elle était diffusée sur un vieil appareil. Ce faisant le musicien Sylvain Jacques lui donne un air de souvenir nostalgique. La musique est par ailleurs omniprésente dans la pièce. Les mouvements des trois acteurs sont chorégraphiés, lents et élégants pour la fille avec des moments plus rythmés pour les boys.
Françoise Gillard est magnifique. Passant du peignoir blanc au justaucorps couleur chair puis à une belle robe de mousseline rouge, elle évoque avec délicatesse le parcours de la fille, de sa gloire quand les spectateurs nombreux l’entouraient, aux moments où ils la somment d’achever et de déguerpir jusqu’à la résignation quand ils ne viennent plus. Gaël Kamilindi et Yoann Gasiorowski sortent parfois de l’injonction de la fille « lent et désinvolte », dansent avec élégance et prêtent leur jeunesse et leur ironie tendre aux personnages des Boys.
Le souvenir du music-hall, la nostalgie d’une fin de carrière, l’approche de la mort, toute l’émotion du texte de Lagarce, avec ses phrases courtes et ses répétitions, est magnifiquement restituée.
Micheline Rousselet
Du 2 juin au 11 juillet au Studio de la Comédie Française à 18h – 99 rue de Rivoli, Galerie du Carrousel du Louvre, 75001 Paris – Relâche les lundis et mardis – Réservations : comedie-francaise.fr
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