Ce devait être le match du siècle, la finale de la Coupe d’Europe des champions à Bruxelles, opposant Liverpool à la Juventus de Turin. Le mouvement des hooligans était alors à son apogée dans une Angleterre minée par la crise et la politique libérale de Margaret Thatcher. La violence est vite montée dans un stade bondé et chauffé à blanc. Les bouteilles ont commencé à voler, les pavés de béton aussi, les Anglais sont montés à l’assaut de la tribune où étaient rassemblés les supporters italiens. Tandis que les organisateurs décidaient de maintenir le match, la violence se déchaînait entraînant la chute de la tribune avec à la clé la mort de 39 personnes et près de 500 blessés.
Laurent Mauvignier auteur du roman éponyme a accepté de le confier à Julien Bouffier, séduit par l’idée de ce dernier de faire entendre des langues différentes à l’image du public qui se pressait dans le stade. Julien Bouffier, dont l’adaptation du quatrième mur de Sorj Chalandon avait été très remarquée, a un goût du théâtre documentaire mais il aime aussi faire entendre la musicalité d’une écriture et surtout son théâtre est immersif. Les spectateurs sont donc comme plongés dans la foule, au cœur du chaudron. Cinq voix s’élèvent, en anglais, en italien, en français. Elles se croisent et se complètent : l’Anglais Geoffrey (magnifique Zachary Fall), qui étouffe de la crise et de la violence sociale, venu avec ses deux frères de Liverpool, Gabriel, le Belge qui s’est fait voler ses billets et ne pourra entrer, deux supporters français Jeff et Tonino et une Italienne Tara (émouvante Vanessa Liautey) venue avec son mari Francesco en voyage de noces. La pièce se déroule en trois temps. D’abord les heures qui ont précédé le match, où chacun est dans son histoire singulière et pose les repères de ce qui les a amenés là. Puis la lente montée de la violence dans le stade, les cris, les premiers jets de bouteille, l’assaut des Anglais contre la tribune italienne, le drame, les morts et les blessés qu’on évacue dans des couvertures car il n’y a plus assez de civières, le match qui continue et à la fin la panique, l’égarement et l’angoisse des survivants dans les heures suivant le match. Enfin quelques années après, quand le souvenir ne passe pas, que restent la honte pour Geoffrey, le deuil inconsolable de Tara et les questions mêlées d’une révolte amère pour ceux qui ont survécu.
Une grande cage de but, omniprésente sur la scène, où les acteurs s’appuient, qu’ils escaladent, d’où ils tombent aussi, suffit à planter le décor. Un système de double écran qui permet de donner de la profondeur, les images vidéo du match et du stade mêlées à des images filmées en temps réel, les nuages de fumée, les éclairages qui zèbrent la scène brusquement ou créent une impression de flou, tout cela plonge les spectateurs dans la confusion du stade. La musique de Jean-Christophe Sirven, inspirée de l’hymne de la Ligue des champions, un morceau de Haendel, retravaillé au contact de la pop, crée une tension entre violence et dévastation que vient à peine briser une chanson pour permettre au spectateur de retrouver son souffle.
Un spectacle magnifique, violent, dont on sort bouleversé avec cette interrogation : comment ce qui devait être un moment de joie a-t-il pu se transformer en déchaînement de violence, laissant derrière lui la peur et l’égarement des rescapés et la honte de ceux qui se sont laissés entraîner à des actes qu’ils ne pourront jamais se pardonner ?
Micheline Rousselet
Spectacle crée les 2 et 3 juin au Théâtre de Saint Quentin-en-Yvelines – les 18, 19 et 20 juin à 19h au Printemps des Comédiens à Montpellier – le 1er juillet au Théâtre Jean Vilar à Vitry-sur-Seine – Réservations : 01 55 53 10 60
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu