Une ancienne colonie de vacances au bord de la mer transformée en centre d’accueil pour jeunes migrants non accompagnés. Les pensionnaires sont partis à la montagne pour une semaine de ski. Ne restent qu’un jeune migrant Harouna, qui a refusé de partir car son copain Drissa a mystérieusement disparu du centre, une éducatrice Elise et un nouvel arrivant, André, qui va la remplacer puisqu’elle part pour s’occuper de sa mère. Sur fond de bruit du vent et des vagues, avec un ciel bas où passent des nuages menaçants derrière la large baie vitrée qui occupe tout le fond de la scène, un climat inquiétant s’installe. Qu’est devenu Drissa ? Harouna est persuadé que les vieux du village sont responsables de la disparition de son ami et qu’une vieille le surveille en permanence. Et ce nouvel arrivant, qui dit avoir quitté son ancien emploi en EPHAD car il ne supportait plus le corps des vieux, qui fait des blagues douteuses sur l’idée de ces jeunes Noirs au ski, qui est-il vraiment ?
Fruit d’une commande du metteur en scène Vincent Garanger, le texte de Samuel Gallet n’a rien à voir avec la énième œuvre sur l’immigration. L’intrigue est mystérieuse, la peur rôde dans les couloirs, la menace est-elle à l’extérieur ou à l’intérieur ? Les rapports du trio sont tendus, il y a des moments de colère, de désarroi, des silences pesants, des questions, d’autant plus inquiétantes qu’étranges. Chacun semble cacher un secret, chacun ment et certains rêvent d’un autre monde où la tendresse et l’empathie l’emporterait. Le thriller se mêle de fantastique.
La scénographie est magnifique. En fond de scène, une immense baie vitrée ouvre sur une mer houleuse sous un ciel plombé où passent parfois l’ombre de quelques oiseaux. Parfois la mer laisse place à un village la nuit, tout aussi inquiétant, celui où Harouna croit voir la vieille qui l’épie.
La mise en scène de Vincent Garanger s’inspire de la mythologie des romans et des films noirs, James Elroy, Daphné du Maurier, Hitchcock. La mer plombée sous les nuages sombres, l’accompagnement sonore, tout concourt à un climat angoissant, porté par les trois acteurs.
Didier Lastère est André avec son opacité, ses silences, ses obsessions : faire un barbecue, emmener les jeunes à la plage. Parfois l’air père tranquille, il devient inquiétant quand il réclame de façon étrange les clés de la voiture ou observe Harouna endormi. Cloé Lastère incarne Elise. Protectrice, décidée, organisatrice, elle aussi a ses mystères. Pourquoi les jeunes n’ont-ils pas le droit d’aller au village, part-elle vraiment pour s’occuper de sa mère ? L’actrice laisse des silences, tente de rassurer Harouna, le laisse la prendre dans ses bras comme un enfant, mais il ne l’est plus et recule quand André l’approche. Djamil Mohamed incarne un Harouna touchant, peut-être un peu paranoïaque, qui se méfie des habitants du village, les « vieux » mais rêve de l’examen qui lui permettra d’avoir des papiers et a soif d’amour.
Ils servent formidablement bien ce texte subtilement politique, qui mêle la réalité – celle de ces jeunes migrants infantilisés, plongés dans un milieu hostile qui a peur d’eux, mais qu’eux aussi craignent – et l’univers du rêve entre espoirs et cauchemars avec cette peur de l’autre qui finit par tout anéantir.
Micheline Rousselet
Création du 19 au 23 mai 2021 au Théâtre Paul Scarron, Le Mans – Tournée à suivre
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