Gérard Watkins, plutôt habitué à mettre en scène ses propres textes, a décidé de se pencher sur les fondamentaux et monte Hamlet. Pour mieux faire entendre son ressenti de ce texte, il l’a lui-même traduit, à la fois pour en rendre la musicalité et pour insister sur les thèmes essentiels : la violence en héritage, la révolte impossible, la tentation de l’inaction et la folie, celle d’Ophélie mais aussi celle d’Hamlet.
Malheureusement sa mise en scène est moins convaincante. Il place la tragédie dans un décor des sixties (pourquoi?), où s’invite la musique, rocks ou gospels, jouée et chantée par le metteur en scène lui-même (pourquoi pas ! ). La mise en scène éclaire judicieusement des aspects de la pièce souvent laissés dans l’ombre : l’ambiguïté du fantôme du père qui crie vengeance mais évoque ses crimes « atroces », ce qui gâche à jamais la possibilité pour son fils de vivre un amour heureux, la situation d’Ophélie à qui son père interdit de se laisser aller à son attirance pour Hamlet de peur qu’elle ne soit déshonorée alors que ce même père (Fabien Orcier très juste dans le rôle de Polonius) laisse partir pour ses plaisirs son fils Laërtes au moment où son pays s’apprête à entrer en guerre. Solène Arbel apporte une note poétique en incarnant une Ophélie qui oscille entre les élans de la jeunesse et la mélancolie de celle qui est déchirée entre les règles sociales et un Hamlet incapable de l’aimer. Choisir l’angle du burlesque est parfois intéressant. Gérard Watkins dans le rôle de Claudius et Julie Denisse dans celui de Gertrude s’en sortent très bien. L’idée de faire discourir Claudius tel un évangéliste haranguant les fidèles ou un populiste, roi des plateaux télé façon Trump, excitant ses fidèles, dont on entend les acclamations, est très réussie.
L’autre originalité de la mise en scène est de confier le rôle d’Hamlet à une femme, Anne Alvaro. Certes cela s’est déjà fait, plus à l’étranger qu’en France d’ailleurs, et cela se justifie tant le genre d’Hamlet est « flou », au regard des critères traditionnels de genre. Indécis, passant de l’extrême lucidité à la folie, du désir de vengeance à une douleur qui le condamne à l’impuissance et sombrant dans la procrastination. A priori qui mieux qu’Anne Alvaro, avec sa belle voix grave, capable de monter dans les aigus de l’hystérie et de la douleur, pour incarner Hamlet ? Malheureusement le metteur en scène la laisse s’embourber dans les excès de la folie, bouche ouverte en cri quasi inarticulé.
Dommage que dans ce travail, que l’on sent pensé, les moments burlesques et l’accent mis sur la folie d’Hamlet l’emportent tellement qu’à la fin on a perdu Hamlet !
Micheline Rousselet
Du 2 au 14 février au Théâtre de la Tempête – Cartoucherie – Route du Champ de Manœuvre – 75012 Paris – Réservations : 01 43 28 36 36 – Horaires à préciser – 21 et 22 avril – Comédie de Caen – Tournée saison prochaine : Besançon, Lorient, Bordeaux …
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