Sigismund, Seigneur d’Ehrenburg, rencontre Albe qui n’a alors que treize ans. Il en tombe aussitôt amoureux, de cet amour fou qui dévore comme le feu. Il l’épouse, mais cette passion brûlante va le faire basculer dans une jalousie dévorante. En infligeant à sa femme un châtiment terrible, il entre lui-même dans un enfer qui le consume, jusqu’au jour où tel le phénix il pourra renaître de ses cendres et se délivrer. Enfermée injustement, Albe découvre qu’elle peut modifier sa vie en jouant avec sa mémoire et se libérer aussi.
Julie Delille, artiste associée au Théâtre de Bourges, et Chantal de la Coste ont adapté le beau roman de Christiane Singer, inspiré par un des récits de l’Heptaméron de Marguerite de Navarre. La beauté du texte, disant cette expérience quasi-mystique d’amour fou qui mène du feu à la mort et dont seule la libération peut conduire à nouveau vers la vie nous perce le cœur.
La création sonore de Julien Lepreux nous fait entendre ce feu qui dévore tout et la nature, avec cerfs et loups, qui semble reliée aux hommes et à leurs passions par d’invisibles rhizomes. La scénographie imaginée par Chantal de la Coste, magnifiée par la création lumière d’Elsa Revol est somptueuse. Pénombre, espace nu où, sous l’effet de la lumière, les murs s’animent permettant à notre imagination de faire apparaître des salles obscures où se dessinent des vitraux et la lumière tremblotante des cierges. Par la magie de la lumière, une superbe tenture bleu sombre brodée de pins, comme un magnifique panneau de soie chinois, devient transparente laissant voir la silhouette d’Albe qui passe, puis opaque pour permettre au pied délicat d’Albe de s’insérer pour venir au devant de la scène.
La mise en scène de Julie Delille joue avec une précision diabolique du contraste ombre et lumière, parole et silence pour envoûter le spectateur qui plonge avec effroi et délice dans cette histoire. La scène est plongée dans la pénombre. Dans la première partie, c’est Sigismond (Laurent Desponds) qui parle de son amour, « abîme vertigineux de flammes et de souffrances aiguës » dont il est impossible de s’échapper et d’où celui qui y tombe ne veut surtout pas se sauver. Albe, simple silhouette qui se détache de l’obscurité marche lentement, avec grâce faisant le tour de la vaste scène. Quand Laurent Desponds s’enferme, comme il a décidé d’enfermer sa femme, il s’enroule dans une fourrure triste. C’est la visite d’un hôte qui va le sortir « de son entièreté ». Il a encore du mal à trouver le gué pour la rejoindre, mais ses pas suivent ceux de Albe sur la scène. Il sait qu’il l’aime toujours mais, pour la première fois, il se sent libre, « c’est à la fois inquiétant et délicieux ». C’est ensuite à Albe (Lyn Thibault) de prendre la parole. Elle raconte le noir chagrin, son envie de mourir, mais dit-elle, « mon désir de mort ne parvenait pas à me contenir toute entière, un pan de moi en dépassait toujours ». Elle pense à son hermine que son frère tua par jalousie, elle enlace son chien que son mari lui a rendu. Elle retrouve le chemin de la vie, de l’amour et dit « demain la porte va s’ouvrir ». Elle est la grâce et la délicatesse.
Les deux acteurs glissent sur la scène créant entre eux un lien fort et mystérieux. Les silences répondent au texte dont la poésie exalte la force des images. Un très beau spectacle.
Micheline Rousselet
Les 15 et 16 décembre au Théâtre de l’Union, Centre Dramatique du Limousin, Limoges – Les 6 et 7 janvier à L’Equinoxe, Scène Nationale de Châteauroux – Du 19 au 21 janvier au Théâtre Olympia, Centre Dramatique National deTours – Juin 2021 Printemps des Comédiens de Montpellier – Nouvelles dates et lieux à venir
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