Un dealer et son client se rencontrent ou plutôt deux solitudes s’affrontent. C’est de marchandisation des rapports humains qu’il est question dans la pièce de Bernard-Marie Koltès, mais peut-on échanger des sentiments de façon marchande ? Le dialogue des deux partenaires n’en est pas vraiment un. L’un relance l’autre, mais celui-ci ne répond pas, l’un est incapable de formuler son désir et l’autre de l’assouvir. Chacun enfermé dans sa solitude « refuse de faire à l’autre le cadeau de l’intelligibilité de sa pensée ou de son désir » mais cherche à obliger l’autre à dire son désir et à se dévoiler.
La mise en scène originelle de Patrice Chéreau, en accord avec Koltès, mettait en scène deux hommes et le dealer était noir. Depuis toutes les configurations ont été expérimentées, ce qui donne à la pièce un caractère plus universel. Roland Auzet a choisi ici de faire jouer les deux personnages par des femmes. La pièce fait référence à un univers bétonné, les personnages évoluent au milieu d’immeubles. En ces temps de Covid-19, Roland Auzet présente la pièce en plein air au cœur de la ville. Les spectateurs sont debout ou assis, comme des témoins à distance obligés à participer à cette négociation, qui n’en est pas une, tantôt s’écartant comme si la transaction était dangereuse tantôt se rapprochant mi-pervers mi-curieux. Pour respecter les distances imposées par la Covid-19 les spectateurs sont équipés de casques et les micros créent une proximité avec les comédiennes. On entend avec une acuité inhabituelle leur voix, leur souffle, leurs silences. Anne Alvaro et Audrey Bonnet donnent tout son mystère, tout son rythme, toute sa musicalité au texte de Koltès. Audrey Bonnet (le client) semble fuir sur le vaste parvis de l’IMA ou sur les coursives de la Faculté des sciences où elle semble s’échapper. Anne Alvaro (le dealer) la suit, la fuit à son tour. Elles se rapprochent sans jamais être proches, se rejettent et prennent de la distance. Essoufflées ou exigeantes, elles jouent de leurs voix où se succèdent les sentiments, colère, angoisse, agressivité, inquiétude, ironie, arrogance ou humilité. Chacune semble à un moment dominer puis les rôles s’inversent et au final chacune n’aura rien dit de son désir, incapable de le formuler ou s’y refusant. Un moment unique pour entendre et aimer le texte de Chéreau grâce à ces deux formidables comédiennes.
Micheline Rousselet
30 juillet Ponton Milan, Quai d’Austerlitz, Paris 13ème
31 juillet et 1er août Salle Didot, Paris 14ème
2 septembre Parvis de la BNF, Paris 13ème
3 et 4 septembre lieu surprise
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu