Florence Aubenas, grand reporter, travaillait pour Libération quand elle a été capturée et retenue plusieurs mois en otage en Irak. Après son retour, elle a quitté Libération pour le Nouvel Observateur. En 2009, on ne parlait que de la crise et elle s’est demandé comment en parler de l’intérieur. Elle a alors quitté son confort parisien, est partie pour Caen, où elle ne connaissait personne et s’est inscrite à Pôle Emploi en gardant son identité mais en disant qu’elle n’avait jamais travaillé et se trouvait obligée de le faire après une rupture. Femme sans diplôme sauf le bac, plus de 45 ans, elle ne s’est vu proposer que des emplois d’agents d’entretien. Elle a alors plongé dans ce monde des invisibles, le plus souvent des femmes qui s’échinent tôt le matin et tard le soir à astiquer, faire briller toilettes et cabines des ferrys ou des bureaux. Le dos cassé, traînant des chariots emplis de produits et d’instruments de nettoyage, tenues à des tâches pour lesquelles le temps imparti est impossible à tenir, enchaînant les horaires tronqués, obligées de courir d’un boulot et d’un lieu à l’autre pour gagner simplement de quoi survivre. Comme elle l’avait décidé, elle a arrêté, quand au bout de six mois de bagne, on lui a proposé un CDI. Elle en a tiré un livre Le quai de Ouistreham , qui va droit aux faits et empoigne le cœur du lecteur.
Louise Vignaud a mis en scène ce texte qui n’était pas écrit pour le théâtre. Sur scène un paper-board, qui donne leur caractère sérieux aux stages et instructions fournis aux candidats par les agence de Plein Emploi, une chaise, une bouteille de Yop, secours des employées qui ne trouvent pas le temps de manger tout occupées qu’elles sont à courir d’un boulot à l’autre. C’est Magali Bonnat qui se confronte au témoignage. Avec humour, sincérité, délicatesse, elle recrée les situations et nous interpelle. Elle n’incarne pas celles qu’elle rencontre, mais elle les évoque d’un geste, d’une attitude. Campée mains dans la ceinture elle est la cheffe autoritaire, grattant le sol débordant de crasse, elle est « l’agent de propreté » qui se dépêche sous les réprimandes des petits chefs jamais contents. Elle parle de l’attente du ferry au petit matin, bras croisés collés au corps et l’on sent le froid du quai où se croisent les passagers du ferry qui descendent et les invisibles qui vont réparer les dégâts de la nuit.
La comédienne porte avec talent le témoignage du quotidien de ces forçats du nettoyage si bien dépeints par la journaliste.
Micheline Rousselet
Mardi, mercredi et vendredi à 20h, jeudi à 19h, samedi à 16h
Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier, 75014 Paris
Réservations : 01 45 45 49 77 ou www.theatre14.fr
Tournée : du 19 au 28 mars Théâtre de la Croix Rousse à Lyon, du 31 mars au 4 avril Scène nationale de Sète, 8 avril Le pied aux planches Largentière
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