Après le succès d’ Alice et autres merveilles qu’il avait crée en 2015 Emmanuel Demarcy-Mota a souhaité lui donner une suite, celle écrite par Lewis Carroll avec De l’autre côté du miroir . Il a demandé à Fabrice Melquiot d’en écrire une adaptation, mais en y introduisant deux autres héroïnes de la littérature qui, par leur détermination et leur capacité à se révolter et à résister, seraient en quelque sorte ses « descendantes ». Il a pensé à Dorothy, personnage principal du Magicien d’Oz écrit en 1900, et à Zazie dans le métro , la gamine insolente et déterminée inventée par Raymond Queneau en 1959. Et il y a ajouté une jeune fille d’aujourd’hui Ida-Rose, une Alice du XXIème siècle.
On dit que l’idée de De l’autre côté du miroir serait venue à Lewis Carroll après une discussion avec une autre petite Alice à qui il avait demandé, après lui avoir donné une orange, dans quelle main elle se trouvait. Elle avait répondu « dans ma main droite ». Il l’avait ensuite placée face à un miroir et lui avait demandé « et dans le miroir maintenant ? ». À quoi la petite Alice avait répondu « dans ma main gauche », puis demandé « et si j’étais de l’autre côté du miroir, l’orange ne serait-elle pas toujours dans ma main droite ? » Mais quand on est de l’autre côté du miroir dit Lewis Carroll ce n’est pas seulement la gauche qui devient la droite, mais le haut et le bas ne sont plus aussi distincts et « il faut courir vite pour rester au même endroit ». Enfin il n’y a pas que l’espace qui est mis à mal, le temps l’est aussi. Ainsi la Reine Blanche dit à Alice « se souvenir du passé, c’est d’un banal, ce qui est important c’est ce qui s’est passé dans quinze jours ». Le texte de Fabrice Melquiot reste fidèle à Lewis Carroll avec le goût du paradoxe, du bizarre, du non sens et les jeux sur les mots.
Comme la Alice du livre, une jeune fille endormie est dans la salle pendant que le public s’installe et elle rêve. Quand elle s’éveille, se lève et monte sur scène, elle est passée de l’autre côté du miroir du salon et se retrouve tantôt sur un échiquier tantôt dans un monde à l’envers. Toute la scénographie va nous entraîner dans ce monde merveilleux avec des miroirs, un escalier qui tourne autour d’Alice, « comme un tire-bouchon », des fleurs géantes aux couleurs éblouissantes. Au hasard des rencontres, nous retrouvons les personnages étranges et parfois un peu inquiétants chers à Lewis Carroll : la cruelle Reine Rouge, des pions la tête en bas, un cavalier à tête de cheval, un fou rouge à jupe trapèze, la Reine Blanche galopant sur son rhinocéros aux côtés d’Alice, Humpty Dumpty suspendu à l’envers. Isis Ravel en jupe courte et manches de mousseline, chaussée de baskets est une Alice juvénile et courageuse, pleine de curiosité et dont rien n’entame la détermination. Valérie Dashwood est une belle et élégante Dorothy dans une robe qui évoque celle de Judy Garland dans Le magicien d’Oz. Sandra Faure enfile une petite jupe à carreaux pour se demander « doùquipuedonctant » quand elle incarne Zazie avant de se transformer, chignon collé aux oreilles, en redoutable Reine Rouge. Grace Seri en costume inspiré des mangas est Ida-Rose qui veut rejoindre les autres Alice. Toutes quatre se rejoignent pour chanter Somewhere over the rainbow , l’air célèbre du Magicien d’Oz ou Sweet dreams are melody puisque dans ce monde incertain on ne sait plus si c’est Alice qui rêve ou si tout le monde rêve sauf Alice. Toute l’équipe se glisse parfaitement dans ce monde à l’envers où le non sens et le jeu sur les mots règnent en maître.
Un spectacle pétillant, une mise en scène très réussie, une scénographie et des éclairages magiques, des comédiens-chanteurs à l’apogée de leur art, voilà de quoi partir rêver pour les petits comme pour les grands.
Micheline Rousselet
À partir du 26 décembre horaires variables en matinée et en soirée à voir sur le site :
theatredelaville-paris.com
Théâtre de la Ville-Espace Cardin
1 avenue Gabriel, 75008 Paris
Réservations : 01 42 74 22 77
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