Un femme disparaît mystérieusement. Sa voiture est retrouvée abandonnée au bord de la route de montagnes qui conduit à quelques fermes isolées du Causse. Alors que la gendarmerie tente de retrouver trace de la disparue, cinq habitants de la région se trouvent liés d’une façon ou d’une autre, de près ou de plus loin, à cette affaire. Chacun est jaloux de ses secrets mais tous ignorent que cette affaire dans laquelle ils sont impliqués a commencé loin de la montagne balayée par les tempêtes de neige, sur un autre continent où le soleil aveugle et brûle et où la pauvreté pousse de jeunes désœuvrés à des débordements coupables.
Avec Gilles Marchand, son coscénariste, Dominik Moll a choisi d’adapter pour le cinéma le roman éponyme de Colin Niel situés dans deux mondes habituellement délaissés par la fiction et que tout oppose : le Causse français où la plupart des éleveurs vivent dans la solitude et, à 5000 kilomètres de là, une métropole africaine de cinq millions d’habitants où règnent la misère et le chômage.
Ce sont les personnages vibrants du roman de Colin Niel que Dominik Moll voulait voir exister en chair et en os et qui lui ont dicté de faire ce choix.
Le récit fonctionne selon une succession de chapitres correspondant chacun au point de vue d’un personnage différent qui produit une jubilation particulière sur la résolution de l’intrigue.
Une structure narrative qui entretient le mystère et le suspense.
A chaque nouveau chapitre, se dévoile une couche supplémentaire du récit global, se produit un éclairage nouveau qui fait la lumière sur de nouvelles zones d’ombre qui étaient, entre temps, apparues.
Ce qui pourrait opérer un éclatement du récit, la dispersion d’une intrigue aux déroulements acrobatiques, qui fonctionne comme un puzzle, se trouve réparé par le fait que l’unité de l’intrigue est préservée, puisque tout tourne autour du seul point d’ancrage qu’est la disparition d’Evelyne Ducat.
La mise en scène de Dominik Moll jongle avec bonheur avec cet enchevêtrement de personnages et d’intrigues étroitement liées. Le contraste des deux univers, le Causse en plein hiver offert aux tempêtes glaciales qui prend des airs de bout du monde et la métropole africaine aux rues grouillantes de monde et de vie, ajoute au trouble.
D’un bout à l’autre du monde, le recours à Internet a le même effet, remédier à la solitude et à l’ennui d’existences qui n’ont plus de saveur, qu’il s’agisse du monde paysan isolé ou du désœuvrement de la jeunesse à Abidjan qui le livre à un isolement similaire.
Si « Seules les bêtes » est avant tout un film noir mâtiné de thriller, en montrant des jeunes gens d’Abidjan dans leur désir de richesse et l’isolement d’un certain monde rural en France, le film est porteur d’un discours politique avec un regard sur le monde actuel et sur le remède à double tranchant que procure l’accès aux réseaux sociaux.
Internet où se réfugie Michel l’éleveur pour tromper sa solitude et le jeune Armand à Abidjan pour escroquer financièrement ses victimes, est-il là pour faire tomber les distances ou pour creuser le fossé ?
Haletant. Magnifiquement construit, superbement interprété….
Francis Dubois
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