Avec en toile de fond le souvenir toujours vif d’une passion amoureuse vécue à l’époque de mai 1968, Jean-Pierre Thorn remonte le fil du temps pour faire revivre les épisodes rebelles qui ont occupé ses films de fervent militant des causes justes ; des ouvriers en lutte des années soixante dix jusqu’à leurs enfants du mouvement hip-hop et aujourd’hui, la lutte des gilets jaunes d’un rond-point à Montabon. Les images de ces mouvements constituent la réponse aux lettres que lui adressait une amante trop vite disparue au lendemain de mai 68. Elles sont le témoin que la rage de mai est encore vivante telle la braise qui couve sous la cendre.
L’immortelle à laquelle fait référence Jean-Pierre Thorn dans le titre de son film est une fleur qui dégage une odeur épicée et chaude qui fleurit au printemps et qui à particularité de ne jamais faner.
Tout ce que le pays a vécu de mouvements sociaux et de leurs conséquences dans de nombreux domaines au cours des cinquante dernières années est définitivement inscrit dans son histoire.
Ils constituent les morceaux épars d’un puzzle et c’est ce collage de matériaux hybrides que le cinéaste, pendant plus de dix ans éloigné du cinéma, avec autant de candeur que de détermination, propose comme un jeu de construction que chacun composera à sa façon selon comment il les déchiffrera et en fonction de sa propre sensibilité politique.
Le film repose en grande partie sur les charnières du récit : à savoir les constants glissements du désir et de l’engagement allant de la lecture d’une lettre d’amour enflammée à un personnage, à un extrait de film, un document, le visage d’un homme emporté par la force de ses convictions, un mouvement de foule constitué d’élans et d’appels à une justice sociale. Finalement le mouvement du récit transcende la disparité des matériaux et marque l’avancée inexorable d’une passion amoureuse née au creux des dunes et des piquets de grève de 68 jusqu’à sa résurrection aujourd’hui par delà la mort.
Jean-Pierre Thorn a éprouvé l’envie et la nécessité de retrouver aujourd’hui les « héros » et les « héroïnes » des ses films passés, sans doute animé du désir profond de savoir ce qu’ils sont devenus, s’ils sont restés fidèles à la rage et aux valeurs qui furent celles de leur jeunesse (il y a vingt, quarante ou cinquante ans). Comparer leur passion militante d’alors à leurs pensées d’aujourd’hui et découvrir qu’elle est toujours vivace comme l’est restée pour Jean-Pierre Thorn, le désir de son amante disparue. Une façon de mesurer le temps qui passe, le vieillissement des visages et des corps alors que les pensées sont toujours les mêmes, même dans le contexte actuel et que leur fidélité à l’histoire est intacte.
Avec ce même mélange de candeur et de force militante qui l’a toujours caractérisé, Jean-Pierre Thorn fait la démonstration que les révoltes ouvrières de 68 ou celles des années soixante dix rejoignent bien celles de la jeunesse des quartiers contre le racisme et l’exclusion et celles des Gilets Jaunes aujourd’hui contre la vie chère, la corruption des élites et qu’elles sont, transposées à notre époque, les facettes d’un même combat. Et que le fil qui les relie ne doit jamais être rompu si on veut éviter le rouleau compresseur de la répression féroce qui guette.
Francis Dubois
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