A la suite d’une rupture amoureuse qui l’a mis face à des difficultés financières insurmontables et pour plus de commodités, Franck Beauvais quitte Paris et ses activités cinématographiques déjà engagées avec la réalisation à son actif de plusieurs courts-métrages.
Il emménage dans un petit village d’Alsace isolé où, privé de moyens de locomotion, il connaît la plus profonde solitude, passant le plus clair de ses journées et de ses nuits à visionner des films qu’il puise dans l’importante collection accumulée au film des années.
Il survit en vendant en ligne des pièces de collection, objets vestiges d’une période faste.
Pour illustrer cette expérience de dénuement et de solitude, de cheminement entre misanthropie dépressive et extra lucidité, le cinéaste hyper-cinéphile distille en voix off le rendu au jour le jour de ce à quoi se résume son séjour alsacien. Un texte qui est et qui cependant échappe à la tonalité du journal intime classique.
Un montage très « serré » fait défiler une infinité de plans extraits des films, un jaillissement d’images à ce point furtives qu’elles ne livrent jamais le secret de leur provenance et finissent par former un objet cinématographique inclassable à la fois dense et d’une légèreté poétique intense.
Le texte superbe, vibrant de sincérité qui échappe à la pente de lyrisme, jamais pontifiant, fait autant écho à nos émotions les plus familières qu’à l’inquiétude qui nous taraude à propos de l’état du monde et d’un avenir incertain.
Il alterne confidences mezza-voce et fulgurances poétiques pour parler d’ aujourd’hui et des raisons pour lesquelles tout individu lucide se voit interdit de son droit à la sérénité.
On peut dire de « Ne croyez surtout pas que je hurle » qui est un long cri silencieux, que par sa conception même, sa construction innovante, par sa démarche narrative inédite, à sa façon, il réinvente le cinéma.
« Un état des lieux, un état du monde, un état intérieur, celui d’un cinéphile qui trouve refuge dans la boulimie de films, des musiques stupéfiante s pour ne pas sombrer, pour ne pas couler à pic dans la trivialité du réel » . écrit le cinéaste Bertrand Mandico à propos du film.
Un film comme il en faudrait quelques uns dans l’année, pour nous rendre confiant sur l’avenir d’un cinéma novateur qui maintient contre vents et marées, un vrai souffle créatif.
Francis Dubois
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