Ce sont les deux parties de Suite française que Virginie Lemoine et Stéphane Laporte ont adapté et mis en scène (Virginie Lemoine seule pour la seconde partie) dans ces deux spectacles. Irène Nemirovsky a écrit ce livre entre 1940 et 1942 dans un village de Bourgogne où elle s’était réfugiée avec son mari et ses deux fillettes. Elle prévoyait une fresque de la France vaincue et occupée mais n’aura le temps d’écrire que les deux premières parties avant d’être arrêtée, déportée et assassinée en août 1942. Son mari le sera à son tour peu après. Ses filles et leur tutrice fuiront et se cacheront à travers la France, emportant avec elles une valise contenant des photos de famille, divers papiers et un manuscrit écrit d’une écriture minuscule, celui de Suite française que l’une de ses filles finira par déchiffrer et qui sera édité en 2004. Elle y dressait le portrait sans complaisance d’une France vaincue, occupée où, dans la débâcle, la lâcheté et la médiocrité l’emportaient sur les élans de solidarité et de grandeur, qu’elle ne trouvait que chez les gens modestes.
Tempête en juin , la première partie du roman est confiée à Franck Desmedt. C’est un immense acteur que l’on avait déjà admiré et aimé dans Voyage au bout de la nuit . Seul en scène, il apparaît tel un personnage de 1940 en imperméable sur fond de vidéo montrant Paris sous les alertes. Il va faire vivre tous les personnages de la saga. La famille Péricaud, d’abord, ces grands bourgeois qui partent avec leur voiture bourrée de meubles et de vaisselle, la bonne, le beau-père, un vieillard infirme et immonde, la mère qui prône la charité et le partage, mais changera vite d’avis à la première boutique vide, leur fils le Curé Philippe qui s’occupe de l’Oeuvre des petits repentis du XVIème, mais que ces enfants dégoûtent. Toute une humanité se déploie, l’écrivain qui se pense génial, Gabriel Corte et sa maîtresse, le banquier Corbin et sa maîtresse qu’il est vite prêt à abandonner pour rejoindre sa famille, les Michaud, employés modèles qu’il abandonne en les enjoignant de se débrouiller pour arriver à Tours, où la banque se replie, leur fils, soldat dont ils sont sans nouvelles et qui, blessé, a été évacué vers une ferme. Le bruit des avions suffit à évoquer les bombardements au hasard, qui frappent ceux qui marchent sur la route la valise à la main, le bruit d’un train renvoie à l’espoir d’une fuite. Franck Desmedt est à la fois le narrateur et chacun des personnages. Une posture, un léger changement dans la voix, un mouvement délicat des mains et il passe de l’un à l’autre. Il est même le chat des Péricaud ! On l’écouterait avec un plaisir sans faille jusqu’au bout de la nuit.
Suite française , adapté de la seconde partie du roman Dolce , est moins convaincante. Béatrice Agenin campe une femme revêche et pingre confite d’amour pour son fils prisonnier et contrainte d’héberger un officier allemand. Sa belle-fille (Florence Pernel), qu’elle ne cesse de rudoyer et qui est délaissée par son époux, ne reste pas insensible au charme de cet officier bien élevé. Est-ce la mise ne scène trop classique ou une interprétation inégale, avec entre autres une vicomtesse qui tire vers le burlesque ce huis-clos qui devrait rester plus feutré ? Toujours est-il que le charme est rompu.
Micheline Rousselet
Tempête en juin : du mardi au samedi à 19h, matinée le samedi à 15h
Suite française : du mardi au samedi à 21h, matinée le samedi à 16h45
Théâtre La Bruyère
5 rue La Bruyère, 75009 Paris
Réservations : 01 48 74 76 99
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