Ce texte, crée en mai au NEST de Thionville, est le résultat d’une réécriture de La Tempête de Shakespeare que Jean Boillot, directeur du lieu, a commandé à son ami le dramaturge Jean-Marie Piemme. Celui-ci a gardé le ton tragi-comique de la pièce, les noms de ses personnages et la tempête qui les a fait arriver sur l’île.

Théâtre : Rêves d'occident
Théâtre : Rêves d’occident

Cependant Rêves d’Occident ne met pas en scène un magicien comme dans La Tempête , mais un homme de sciences qui rêve de vaincre la mort pour le bien de l’humanité et met tout son pouvoir au service de ce projet. Prospéro règne sur l’île, il croit en la science pour assurer la maîtrise de l’homme sur la vie et la mort, pour le bien de tous. Il a épousé Sycorax, la mère de Caliban, qui s’est ralliée à son projet en y voyant un nouveau destin pour l’île. Pourtant tout ne se passe pas comme l’imagine Prospéro. La ville modèle qu’il a créée, Prosperia, est loin d’être plébiscitée et soulève la révolte de ceux que l’on a chassés pour la construire. Ce n’est pas son frère félon qui arrive sur l’île à la faveur d’un naufrage comme dans la pièce de Shakespeare, mais Xenia, une riche héritière qui veut bien financer ses recherches, mais met la science au service de la finance et compte s’en servir pour mettre la main sur l’île, en scellant l’accord par un mariage. Caliban propage la révolte dans l’île mais au final se rallie aux nouveaux maîtres de l’île. Prospéro obsédé par le progrès dont il se pense le maître, sombre dans la mégalomanie. Il est prêt à vendre sa fille Miranda pour la réussite de son projet. Elle qui était fière de son père finira par le quitter. Quant à Ariel, ce factotum, toujours prêt à servir Prospéro, léger, ironique, protecteur de Miranda, il finira lui aussi par trahir son maître.

Jean-Marie Piemme a résumé ainsi son projet : « Dans l’espérance de l’éternité maîtrisée et dans le souci de maîtriser l’Autre avec l’alibi du mieux, se cache le doigt crochu de l’aveuglement ». Mais en choisissant la référence à Shakespeare, il affirme son désir d’échapper à un théâtre documentaire en créant de la distance et de la fantaisie.

La mise en scène de Jean Boillot est au service de cette fantaisie. Dans la première partie, le décor de l’île ressemble volontairement à un paradis de carton-pâte. Ariel porte une veste à paillette et la complétera ensuite avec des petites ailes d’ange, genre truc en plume. La recherche sur le corps humain se fera dans une salle d’opération où le savant Prospéro dissèque un corps en sortant forces intestins sur une musique d’oratorio chantée par un chœur ! Dans la seconde partie la vidéo s’installe sur le mur du fond puisque les écrans de vidéosurveillance ont envahi la ville. La musique est très présente tout au long de la pièce. La partition imaginée par Jonathan Pontier joue des métissages, chœurs contemporains se mêlant à diverses sortes de percussions jouées sur scène et qui apportent une note exotique. La musique enregistrée (prestation hilarante d’Ariel chantant de façon hyper-démonstrative l’opéra en play-back) alterne avec les voix.

Régis Laroche incarne avec détermination un Prospéro de plus en plus aveuglé par sa construction utopique, Axel Mandron un Caliban tout aussi engagé mais dans la révolte, Isabelle Ronayette donne à Sycorax la patience et la générosité de celle qui connaît les faiblesses humaines. On retiendra surtout la drôlerie de Géraldine Keller, la gouvernante toujours disponible jusqu’au moment où elle s’insurge car « trop c’est trop », qui passe d’un accent allemand traînant à des morceaux chantés avec une belle voix de cantatrice. Enfin Philippe Lardaud est un magnifique Ariel, drôle, ironique dont on savoure les apartés et les commentaires.

On sort de la salle en pensant à Rabelais et à sa phrase « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Les avancées de la science et des techniques ont certes favorisé le progrès. La vie des hommes s’est améliorée. Mais aujourd’hui, comme à Prospéria, la confiance absolue dans le progrès comme facteur de vie meilleure et d’émancipation de l’homme tend à s’effriter. On ne peut que s’interroger face aux menaces que font peser notre système économique et nos choix de société sur l’environnement et sur le lien social. Et la pièce vient à point pour nous le rappeler.

Micheline Rousselet

Théâtre de la Cité Internationale

17 boulevard Jourdan, 75014 Paris

Réservations : 01 43 13 50 50


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