Une nuit de réveillon. Un intellectuel et un ouvrier, deux exilés originaires du même village cohabitent dans un appartement de fortune. Du lit à la table où ils s’épient ou se servent des verres, ces deux compatriotes désaccordés partagent les souvenirs de leur pays natal.

L’un a fui pour ses idées et son projet de devenir un grand penseur subversif, l’autre pour vaincre la pauvreté et retourner un jour, riche, au pays.

Entre des moments de confrontation où filtrent des filets de complicité et d’amitié, sans cesse confrontés du rire au drame selon qu’ils se situent dans un immédiat farceur où un isolement profond perceptible en filigrane, les deux protagonistes survivent.

Théâtre : Les émigrés
Théâtre : Les émigrés

Écrite en 1970, la pièce de Slawomir Mrozek appartient à la veine du « théâtre de l’absurde » très en vogue à cette époque. Théâtre bouffe ou au contraire, théâtre d’angoisse communicative, on assiste ici, dans un intérieur ordinaire et oppressant, à un duel d’amour à la Dostoïesvski entre deux compagnons d’infortune et de misère, à un « voyage au bout de la nuit » duquel ni l’un ni l’autre ne se sortira indemne.

Deux frères ennemis victimes de la même chaîne, celle de l’immigration et du déracinement.

Le texte de Slawomir Mrozek est universel et il « sonne juste » avec le contexte actuel, oscillant à égalité entre le plaisir et le désespoir de vivre, entre l’hostilité existant entre deux êtres que tout différencie et l’amitié sans laquelle il leur serait impossible de cohabiter.

Certes le texte illustre parfaitement son sujet. Certes il bénéficie d’un écriture fluide à la fois aride et douce et d’une construction qui laisse autant de place au rire qu’à l’émotion, à la violence qu’à la tendresse.

Mais la mise en scène de Imer Kutllovci lui donne un rythme, une respiration, une force de tous les instants et cela, quelle que soit la tonalité de la séquence.

Ce beau travail de théâtre est relayé par une interprétation magistrale, toute en nuances, qui ne déborde jamais du côté d’un surjeu auquel pouvait se prêter chaque réplique et qui gomme tous les clichés qui pourraient accompagner le mot « émigré ».

Tout se passe dans une sorte de discrétion, de modestie, d’humilité pour servir totalement le texte et son sujet.

Le spectacle a remporté un vif succès l’été dernier à Avignon. Souhaitons lui le même succès auprès du public parisien qui aurait bien tort de se priver de tant de talents réunis sur le même plateau de théâtre !

Francis Dubois

Théâtre Les Déchargeurs 3 rue des déchargeurs 75 001 Paris

Réservation par téléphone au 01 42 36 00 50 ou sur internet : www.lesdechargeurs.fr


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