William R. Burnett, né à Springfield (Ohio), en 1899, a eu le choc de sa vie en arrivant à Chicago. La deuxième grande ville des États-Unis, la porte du Midwest, industrielle et corrompue, capitale de l’architecture mais aussi de la pègre dans les années 1920 – il arrive en 1927 -, années de la prohibition et de Al Capone. Le 18e amendement de la Constitution américaine interdisait de servir des boissons alcoolisées. Le mauvais alcool, Moonshine tel était son nom, proliférait, les fortunes aussi. Burnett, fort des travaux de l’école de sociologie de Chicago, mis en scène la Ville qui façonne les habitant-e-s et les formes d’intégration de ces populations rejetées, juive et italienne en particulier. Il écrira : « Je me sentais écrasé par sa taille, son grouillement, sa saleté, sa turbulence, sa vitalité frénétique. » Et c’est encore la sensation qu’elle donne sans oublier – et notre auteur ne l’oublie pas – le jazz.
Les grandes encyclopédies du polar, du roman noir oublient volontiers Burnett, versatile s’il en fut. Il a écrit des westerns comme de la littérature tout en devenant scénariste pour Hollywood. John Huston ou Howard Hawks ont porté à l’écran ses romans comme « Asphalt Jungle » ou « High Sierra ». A l’époque, dans les années 1930, où il commence à être publié la scène du « hard-boiled » comme on dit aux États-Unis est tenue par Dashiell Hammett et Raymond Chandler. Leur personnage principal est un détective privé. Burnett sera du côté des anti-héros, des gangsters, des « outlaws », terme plus juste, ceux qui sont en dehors de la loi pour de multiples raisons.
« Little Caesar », son premier roman publié – il en a écrit beaucoup d’autres qu’il a détruits – en 1929 est un succès. Il le pense comme une « révolte littéraire », pour affirmer une nouvelle façon de voir le monde. Ses personnages font partie de l’« Underworld » – titre de ce recueil Quarto/Gallimard -, de ce sous monde miroir grossissant du monde visible qui décrit la réalité des rapports sociaux de domination. S’il fallait une référence, ce serait Balzac pour la « comédie humaine » associé à Dickens pour se plonger dans les bas-fonds, dans le sous-sol – pour évoquer Dostoïevski – de nos sociétés.
Pour dire que Burnett n’est pas un auteur de seconde zone. Qu’il fait partie des grands littérateurs. La Série noire – crée par Duhamel en 1945 – l’a fait connaître tout en le trahissant en maniant les ciseaux. Il fallait faire tenir les ouvrages en un nombre de pages réduits et formatées. Les traductrices avaient ce rôle à jouer. En général, les premiers chapitres disparaissaient comme les descriptions un peu longues. Une grande partie des explications se trouvaient englouties dans cette censure qui ne disait pas son nom. Le caractère original des romans se perdait dans la foulée.
Après la seconde guerre mondiale, il publiera la trilogie reprise dans ce recueil, « The Asphalt jungle » – 1949, « Quand la ville dort » -, « Little Men, Big World » – 1951, petits hommes, grand monde littéralement, sera titré « Rien dans les manches » pour des raisons inconnues – et « Vanity Row », 1952, allusion au bûcher des vanités et là encore un titre français qui perd toute référence, « Donnant donnant » qui démontre sa dimension et la place particulière qu’il occupe dans l’histoire littéraire. Certains critiques l’ont comparé à Hemingway pourtant deux univers différents. Burnett est fortement influencé par Chicago.
Le Quarto est complété par « Underdog » au titre français « regrettable », écrit le présentateur de ces romans Benoît Tadié, « Tête de lard » sans aucun rapport avec les traductions possibles : le perdant dans les combats de chien, un outsider, un perdant ou une victime de l’injustice ou de l’oppression. Un livre violent, à la thématique quasi désespérée. Le roman qui clôt cet ensemble, « The Cool Man », 1968, « Un homme à la coule », est un autoportrait. Un hold-up réussi, un séjour en Californie d’un homme qui ne sait pas s’arrêter d’écrire. Comme il n’a pas d’autre solution, il s’écrit à lui-même. Ce sera le sort de Burnett. Il ne trouvera pas d’éditeur et gardera ses manuscrits sans s’arrêter d’écrire.
Dans « Vie et Œuvres » qui ouvre traditionnellement les recueils Quarto, peu de vie beaucoup d’écritures. Un peu comme pour Aragon, ce sont les œuvres qui font la vie. Des extraits du journal de Burnett, le témoignage de son fils, une filmographie complètent le portrait pour inciter à le lire. Une découverte. La traduction révisée de Marie-Caroline Aubert permet, enfin, de se rendre compte que Burnett est un grand auteur.
Nicolas Béniès.
« « Underworld, Romans noirs », William R. Burnett, édition établie et présentée par Benoît Tadié, Quarto/Gallimard, Paris, 2019, 1120 pages, 53 documents, 28 euros.
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