La musique sur le Net est en perte de vitesse. Le streaming ne fait plus recette. Le retour du vinyle est un indice. La musique compressée est-elle encore de la musique ?
Les parutions de CD restent multiples. Certains prétendent qu’elles sont trop nombreuses. Il faut, pourtant, répondre à tous les goûts. A travers ses âges, le jazz s’est démultiplié. Sous ce vocable se dissimulent plusieurs époques, plusieurs styles, plusieurs références. Faut-il, pour autant, le mettre au pluriel ? Je ne le crois pas. Il reste une musique issue de la déportation des Africains sur le sol américain, du brassage en résultant de la fusion entre les cultures africaines, européennes et amérindiennes. Le tout procédant d’un processus d’acculturation. Depuis, les affluents se sont multipliés pour dessiner un paysage plus coloré, plus touffus dans un environnement idéologique – le dit libéralisme ou le post modernisme – qui fait s’évanouir le collectif. L’impression du pluriel vient de l’éclatement des formes du jazz, comme dans toutes les disciplines artistiques. La décomposition n’est pas visible seulement sur le terrain politique, elle est aussi à l’œuvre culturellement. Le jazz est, de ce point, de vue, un bon révélateur.
Il n’empêche que tout n’est pas à jeter. Le processus de décomposition se traduit par des enregistrements qui valent le détour. Le 21e siècle n’est pas vide mais la révolution esthétique se fait attendre.
Commençons par un jazz « daté » avec « Tap.That’Jazz » (Frémeaux et associés), le nom de ce groupe qui réunit June Milo, Julien Silvand, Julien Vardon (aux claquettes, c’est la nouveauté), Dominique Mandin, Rémi Oswald et Fabien Debellefontaine pour un album intitulé « Les Oignons » et on aura compris la référence à la Nouvelle-Orléans. Lorsque ce jazz là est joué avec passion, il convainc. C’est le cas pour ces jeunes gens.
Restons dans cette ambiance avec « The Dime Notes » (Frémeaux et associés), à la fois le nom du groupe et celui de l’album. Un groupe britannique qui sait reprendre à son compte les thèmes des grands compositeurs de la Nouvelle-Orléans à commencer par Jelly Roll Morton – Ferdinand La Motte pour l’état civil pour ce créole – qui fait encore une fois la preuve de sa modernité. Un compositeur à part qui n’entre dans aucune case. Ils n’hésitent pas à reprendre aussi un thème de Sidney Bechet, « Si tu vois ma mère », plus intéressant qu’on ne le croit.
Passer au jazz manouche ne demande que la force d’un pas. Cette musique issue de Django fait la preuve de sa présence avec plusieurs groupes qui se partagent la scène. Un « Live » (Frémeaux et associés) permet d’entendre le Tcha Limberger (violon, guitare et chant) trio, Dave Kelbie, guitare (présent aussi dans « The Dime Notes ») et Sébastien Girardot à la contrebasse, avec comme « guest star », Mozes Rosenberg – famille nombreuse du jazz manouche que les Rosenberg. Au programme des standards et deux compositions de Django dont « Pour que ma vie demeure » peu connue.
Poussons un peu la chronologie pour le groupe « Bean Soup », une référence explicite à Coleman Hawkins surnommé bean – haricot – à cause de sa silhouette lorsqu’il joue du saxophone. La soupe au haricot est le résultat de la rencontre de Michel Bescont (saxophone) et Michel Bonnet (trompette) soutenus par Leigh Barker (contrebasse), Stéphane Roger (batterie) et Jacques Schneck (piano). « Odirep », titre de cet album (Camille Productions) se lit à l’envers pour trouver une composition célèbre de Duke Ellington, « Perdido ».
Revenons en avant toujours avec « La section rythmique » (Frémeaux et associés) composé de David Blenkhorn (guitare), Guillaume Nouaux (batterie) et Sébastien Girardot (contrebasse), nom du groupe et titre de l’album en compagnie, « +2 » de deux invités Harry Allen (saxophone ténor) et Luigi Grasso (saxophone alto) deux musiciens qu’il faut écouter avec attention. La section rythmique, pour l’histoire, tire son nom de l’invention du Big Band de jazz par Fletcher Henderson. Il distinguait les sections : trompette, trombone, saxes et le reste, piano, contrebasse, guitare et batterie a pris le nom, faute de mieux, de section rythmique.
D’autres références, plus récentes, viennent aussi rappeler d’autres parfums comme ce groupe, « Art Déco » qui évoque les compositions et la mémoire du trompettiste Don Cherry (un dessin de Robert Thompson évoque sa silhouette sur la pochette) pour indiquer leur modernité. « A soul message » (Vent du Sud) affirment Denis Fournier, batteur et producteur, Michel Marre, trompette, bugle, Gérard Pansanel, guitare, Jacques Bernard, contrebasse et Doudou Gouirand, saxophone alto, des musiciens liés à la scène musicale de Montpellier. Don Cherry vivant !
La mémoire est nécessaire, outil de connaissance qui permet de bousculer les traditions pour créer de nouvelles œuvres d’art.
Nicolas Béniès
« Les Oignons, Tap.that’jazz ; « The Dime Notes » ; Tcha Limberger with Mozes Rosenberg, « Live » ; « La section rythmique + 2 », Frémeaux et associés. Bean Soup, « Odirep », Camille Productions/Socadisc ; Art Deco, « A soul message », Vent du Sud.
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu