Au moment où le droit à l’avortement régresse dans un certain nombre de pays, le travail de Pauline Bureau tombe à pic en revenant sur le procès pour avortement intenté en France en 1972 contre Marie-Claire Chevalier, une adolescente de quinze ans violée par un « copain ». À ses côtés comparaissaient sa mère pour l’avoir aidé financièrement et avoir fourni à l’avorteuse du coton et de l’alcool à 90° (!), deux collègues qui l’avaient aidée à trouver une adresse et l’avorteuse elle-même.
Pauline Bureau aime le théâtre documentaire. Mais elle ne s’arrête pas aux témoignages et interviews qu’elle recueille, elle fait un vrai et beau travail d’écriture et de mise en scène.
Quand la pièce commence, Marie-Claire Chevalier, à l’âge qu’elle a aujourd’hui, la soixantaine, se souvient de ces faits qui ont bouleversé, il y a plus de quarante ans, sa vie de gamine qui jouait encore à l’élastique et au hoola-hoop avec sa jeune sœur. Elle reviendra régulièrement, parfois aux côtés de l’actrice qui joue son rôle à seize ans (Claire de la Rüe du Can). La vie de Marie-Claire basculera lorsqu’un copain plus âgé l’entraînera dans sa chambre pour écouter des disques et la violera. L’histoire s’accélère ensuite : grossesse qu’elle découvre avec la naïveté d’une enfant, course contre la montre de sa mère pour « trouver une solution », avortement dans des conditions sordides, délation du petit copain, flics plus acharnés à poursuivre les victimes d’avortement et les avorteuses que les délinquants (il ne faut pas oublier que la dernière femme exécutée en France en 1943 l’a été pour avortement), arrestation et emprisonnement. C’est alors que sa mère s’adresse à l’avocate Gisèle Halimi. L’opinion commençait à évoluer sur la question de la pénalisation de l’avortement. Quelques mois auparavant 343 actrices, écrivaines, personnalités avaient signé un manifeste où elles disaient avoir avorté. Personne ne les avait inquiétées. Le MLF se battait contre cette législation rétrograde, Simone de Beauvoir usait de son prestige dans le même sens. Gisèle Halimi va s’emparer du cas de Marie-Claire pour faire de cette question un vrai sujet de débat public qui mènera en 1974 au vote de la loi Veil dépénalisant l’avortement.
La scénographie permet de passer de l’espace intime, une cuisine avec ses casseroles et son gaz, ouvrant sur deux chambres et la salle de bain que l’on devine plus qu’on ne les voit, à d’autres plus publics, le bureau de Gisèle Halimi, où se retrouvent Simone de Beauvoir et les militantes féministes qui vont soutenir la cause de Marie-Claire, puis la salle d’audience où viendront témoigner des personnalités du monde politique (Michel Rocard), scientifique (Jacques Monod), artistique (Delphine Seyrig) et littéraire (Simone de Beauvoir). Un rideau permet de voir la rue, le temps qui passe avec les feuilles et la neige qui tombe, les menaces qui rôdent. Des vidéos d’archives font défiler des images des manifestations du MLF et des mouvements féministes qui ont accompagné le procès de Bobigny, puis celles qui ont soutenu le vote de la loi Veil.
Neuf acteurs se partagent les nombreux rôles et réussissent, avec le talent que l’on connaît à la troupe de la Comédie Française, à changer de voix, de posture pour être totalement crédibles. Ainsi Martine Chevallier est à la fois Marie-Claire à 60 ans, revenant avec mélancolie sur ce moment qui a gâché sa jeunesse de gamine (renvoyée du lycée, insultée maintes fois dans la rue après le procès) et Madame Bambuck l’avorteuse, une femme simple et boitillante qui avait l’impression de rendre service mais se faisait bien payer. Coraly Zahonero passe du rôle de la maman de Marie-Claire, une employée digne et discrète qui se démène pour sauver sa fille, à celui de Delphine Seyrig, intervenant lunettes noires sur le nez avec un humour qui cloue le bec au Président du tribunal. Le monde des femmes humbles qui sont sur le banc des accusés avec leurs robes quotidiennes s’oppose à celui des femmes en pantalon qui vont les défendre avec l’allure décidée de celles que leur milieu protège. Françoise Gillard est Gisèle Halimi. De la race de celle que l’on n’intimide pas, elle est formidable de conviction. En robe d’avocate elle tient tête avec rigueur et calme au Procureur, sourit aux inculpées, souligne que dans ces procès pour avortement on ne voit jamais les femmes de ministres, d’universitaires, ou leurs maîtresses, mais seulement des femmes pauvres. Par ses questions aux témoins elle fait avancer la cause de la liberté des femmes à disposer de leur corps.
Une pièce nécessaire qu’il faut voir absolument.
Micheline Rousselet
Du mercredi au samedi à 20h30, les mardis à 19h, les dimanches à 15h
Théâtre du Vieux-Colombier
21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris
Réservations : 01 44 39 87 00/01
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