Du Paris de l’après-Charlie jusqu’aux élections présidentielles de 2017, un arrêt sur image au plus près d’une jeunesse poussée au dilettantisme qui se reconnaît dans ses errances de nuit et qui, guidée un fond de fatalisme, livre une définition faussement enjouée du monde aujourd’hui.

Des jeunes qui ne dorment pas. Leurs rêves, leurs cauchemars, l’ivresse, la douceur, l’ennui, les larmes, la teuf, le taf, les terrasses, les vitrines, les pavés, les parents, le désir, l’avenir, l’amnésie…

2015, 2016, 2017 : une époque….

L’idée de «  L’époque » est venue à Matthieu Bareyre tout de suite après les attentats de Charlie Hebdo qu’il a vécus comme un moment de bascule avec le sentiment inquiet d’une nouvelle ère politique. Il ne voulait pas rester à l’état d’observateur et la seule façon pour lui d’être actif était de réaliser un documentaire. Le titre du film fut pour lui une évidence avant même qu’il n’ait eu une idée précise de son contenu ainsi que « La follia » de Vivaldi à laquelle il avait toujours pensé pour accompagner un film lyrique où des sentiments contrastés se succéderaient sans transition.

Cinéma : L'époque
Cinéma : L’époque

Pendant deux années, la nuit, depuis les attentats jusqu’aux élections présidentielles, le réalisateur et Thibaut Dufait son ingénieur du son, ont arpenté les rues de Paris en faisant confiance au hasard des rencontres. Le film s’attache uniquement à ce moment particulier des 18-25 ans, l’âge où l’on se pose des questions fondamentales comme « faut-il accepter le monde dont on hérite ?» ou « doit-on prendre le temps de l’interroger avant de s’engager ? »

«  L’époque  » n’est pas un film sur la jeunesse mais un film à l’intérieur de la jeunesse, un film dans l’énergie de l’âge où la parole est complètement libre, sincère avec juste ce qu’il faut de provocation pour marquer une distance.

« L’époque » est un film nocturne, une balade filmée dans des endroits qui brassent beaucoup de monde, comme le quartier d’Oberkampf avant de s’aventurer un peu partout dans Paris avec une longue halte sur les Champs Élysées et un crochet par la banlieue.

Et au lieu d’aborder les groupes avec les questions qui viennent en premier, comme « êtes-vous heureux ?» ou « comment ça va ?» Matthieu Bareyre a préféré lancer pour un premier contact« Pourquoi tu n’es pas en train de dormir ?» ou « Est-ce que tu te souviens de tes rêves ?» ou encore, « Quel est ton désir ? »

Le film traverse tous les milieux sociaux et aborde avec la même délicatesse la stagiaire d’une grande entreprise et le dealer de rue. Il n’est pas une démarche sociologique et pour Matthieu Bareyre, puisque la vie n’est pas quelque chose d’explicable et de mesurable et qu’ il y a des choses de la vie qu’on ne peut pas comprendre, il se contente d’attraper au vol avec un film quelque chose de notre temps.

« L’époque » est un cadre et c’est en même temps un chaos indescriptible, un magma dans lequel tout le monde s’enlise et le mot lui-même a été choisi parce qu’il suggère un temps révolu pour parler de notre présent.

Le film ne s’intéresse pas à l’histoire mais aux sentiments. Il met en valeur des personnages forts mais impuissants, libres mais coupés dans leurs élans dont le hasard a voulu qu’ils deviennent l’ossature du film, qu’il s’agisse de Soali, la DJ repérée dans une bande de filles, Mehdi qui livre sa perception du temps et son rapport à la mort ou Sarah qui parle de sa peur de se retrouver seule… ou Rose qui apparaît comme une allégorie de l’époque.Le film donne surtout la parole à des bavards frustrés de la société ou à ceux qui ne l’ont pas comme ce jeune homme de Bobigny qui témoigne longuement du sens du vandalisme et de la casse..

Un film témoin de notre temps….

Francis Dubois


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