Théâtre : Le pays lointain

C’est l’ultime pièce de Jean-Luc Lagarce mort à 38 ans, en 1995, quelques jours après l’avoir terminée. On y retrouve le thème du retour de l’enfant prodigue parmi les siens, comme dans Juste la fin du monde qu’a mis en scène au cinéma il y a peu Xavier Dolan. Louis revient, au pays lointain de l’enfance et de la jeunesse, dans sa famille qu’il a laissée il y a longtemps,. Il revient pour solder les comptes et dire qu’il va mourir bientôt du Sida. Mais à la différence de Juste la fin du monde, Louis retrouve non seulement sa famille biologique mais aussi la « famille » qu’il a choisie, composée des amis et des amants vivants ou morts. On y retrouve les thèmes habituels des pièces de Jean-Luc Lagarce, la séparation, l’abandon, la perte, l’angoisse devant la mort. Mais la pièce est beaucoup plus longue, plus fouillée, plus ample que Juste la fin du monde.

Théâtre : Le pays lointain
Théâtre : Le pays lointain

Par peur de n’être plus aimé, fuyant devant les chagrins et les regrets, Louis n’a jamais vraiment parlé. Il s’est contenté d’envoyer de vagues cartes postales n’indiquant que les lieux où il se trouvait, ouvertes aux yeux de tous, ce que lui reproche sa sœur. Aux questions posées il s’est limité à répondre par des sourires en coin. Il est venu pour enfin dire, mais il ne le fera pas. Il écoute les membres de sa famille, qui ont tout imaginé face au silence de Louis, mais aussi ceux qu’il appelle « Longue date », l’ami fidèle qui l’a toujours protégé avec sa compagne Hélène, « L’amant mort déjà », à qui il avait dit qu’il était le préféré, « Un garçon » et « Le guerrier » qui personnalisent tous les autres, les dragues d’un soir et la cohorte des amours passagers.

Il n’y a pas de didascalie dans la pièce, ce qui ouvre tous les choix au metteur en scène. Clément Hervieu-Léger a choisi un lieu indéterminé. Au pied d’une palissade en béton, une vieille voiture semble rouiller, écho des promenades familiales de l’enfance, une vieille cabine téléphonique coincée au fond semble un rappel des années 70. Tous les personnages sont constamment présents sur scène comme un chœur rassemblé. Chaque personnage a ses moments de grandeur dans des monologues face à Louis, qui souvent continue à se taire. La tension monte peu à peu vers des scènes plus poignantes.

Pour cette fresque chorale, Clément Hervieu-Léger a choisi une belle équipe de comédiens, Loïc Corbery en tête qui incarne Louis, sourire en coin, fermé, n’arrivant pas à se livrer. Audrey Bonnet est superbe, incarnant sa jeune sœur éruptive, écorchée vive, enfermée dans le regret d’un frère dont elle a tant déploré l’absence. Guillaume Ravoire révèle dans son monologue final très réussi la complexité du frère cadet maladroit et complexé. Aymeline Alix est magnifique en femme mal à l’aise dans cette famille comme une pièce rapportée, humiliée par son mari, tout aussi complexée que lui, persuadée que tout ce qu’elle dit est totalement inintéressant pour Louis. Vincent Dissez est Longue date, calme, toujours prêt à arrondir les angles pour protéger Louis. On peut aussi citer Nada Strancar, la mère qui ne veut pas savoir, qui dit à Louis qu’il est encore assez jeune pour avoir des enfants (!) et qu’il doit parler à son frère et à sa sœur. Louis Barthélémy, le jeune amant mort trop tôt est poignant dans sa révolte contre sa propre mort.

Ils forment une véritable « famille » de scène, à l’image de cette famille qu’a choisie de montrer Jean-Luc Lagarce, dans cette magnifique pièce des retrouvailles et des adieux qui est en passe de devenir un classique de la littérature dramatique du vingtième siècle.

Micheline Rousselet

Du mardi au samedi à 19h30, le dimanche à 15h

Théâtre de l’Odéon

Place de l’Odéon, 75006 Paris

Réservations : 01 44 85 40 40

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