Alors que Wajdi Mouawad, le directeur de La Colline, avait souhaité se lancer dans une entreprise fleuve, mettre en scène les sept pièces de Sophocle qui nous sont parvenues, le poète auquel il avait confié la traduction, Robert Davreu, est mort le laissant au milieu de la traduction de Philoctète, l’histoire de ce héros de l’Odyssée, mordu par un serpent et qu’Ulysse décida d’abandonner sur une île déserte où il resta seul pendant dix années. Refusant de confier la suite de la traduction à un autre, Wahid le metteur en scène, double de Wajdi, n’a alors plus qu’une idée, abandonner le projet puisqu’il n’a plus de texte, faire le deuil du projet comme de son ami mort et partir. Sa dramaturge lui dit « Eh bien pars ! » Et Wahid part en Grèce, sur les traces de Philoctète. Il va voyager dans une Grèce sombre, hivernale, en ruines (on est en pleine période de crise économique, en 2014-2015), où rôde la mort et où les Dieux semblent avoir abandonné les vivants.

Son périple le conduit entre la vie et la mort, entre Grèce antique et Grèce aujourd’hui. L’aéroport d’Athènes est un Hadès en ruines, déserté, où en guise d’Olympe on ne trouve que Olympic Airways. L’escalator est bordé d’empilements de dossiers en désordre et débouche sur un sol jonché de billets d’avion déchirés. À la sortie de l’aéroport l’attend un nouveau Charon, un chauffeur de taxi à la sagesse ancienne qui le conduira vers des lieux et des rencontres multiples, nouveaux visages de l’Hadès. Son parcours le mènera d’une immense décharge à ciel ouvert où les cris des oiseaux résonnent de façon sinistre jusqu’à la grotte où s’était réfugié Philoctète, d’Ulysse à un chien qui lui parle en arabe, la langue de sa mère, et à des discothèques, où des adolescents à qui les adultes n’ont pas pris la peine « d’apprendre à se battre pour des choses qui en valent la peine », s’abîment dans le sexe et la mort. Les humains sont abandonnés, trahis et les Dieux sont morts. À Delphes en guise d’Apollon, il ne rencontrera qu’un obèse qui a choisi les États-Unis et n’est là qu’en simple visite ! Quand il arrivera sur l’Olympe il découvrira que Zeus s’est disputé avec sa fille Athéna et qu’ils vivent comme des clochards !

Théâtre : Inflammation du verbe vivre
Théâtre : Inflammation du verbe vivre

Le texte voyage entre tristesse, mélancolie et drôlerie. On passe d’une « ode à la chaise » à la mythologie, avec ce héros tragique qu’est Philoctète, on glisse de la sagesse (« L’homme est un Dieu quand il rêve et un mendiant quand il pense ») à l’humour (« On a l’Hadès de son époque ! »).

Pour mener ce voyage entre la vie et la mort, Wajdi Mouawad mêle théâtre et cinéma. L’acteur joue devant un écran à lamelles où sont projetées des scènes et des dialogues qu’il a filmés lors de son voyage en Grèce. Il est devant les spectateurs sur le plateau, puis passe à travers l’écran pour être remplacé par son image en Grèce. Il y a quelque chose de fascinant à le voir entrer et sortir du film comme il entre et sort de la scène, quand il n’est pas en surplomb, posté sur une petite marche ! Il s’autorise à vagabonder dans la création, de la scène à l’écran, comme à errer en Grèce.

Au final Wahid aura compris qu’ « au bout de son crayon il peut porter la parole des morts » et retrouvé le goût de vivre, d’écrire, de jouer, « d’inventer des mots nouveaux pour faire rire et pleurer », le goût de la poésie. Et l’on espère que son double Wajdi Mouawad continuera à nous enchanter comme il le fait ce soir.

Micheline Rousselet

Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30

Théâtre National de la Colline

15 rue Malte-Brun, 75020 Paris

Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 44 62 52 52


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