L’île de Tikopia est située en Mélanésie. D’une surface de seulement 5km², elle est la plus isolée de l’archipel des Salomon. Elle est peuplée de polynésiens, habitée depuis plus de 3000 ans et ne fut aperçue par des européens pour la première fois qu’au début du XVIIème siècle. Les premiers missionnaires chrétiens n’y ont posé le pied qu’en 1857.
Aujourd’hui, le jeune roi Ti Nemo y règne et sa tâche est essentiellement de maintenir des conditions de vie très réglementées et faire de sorte qu’elle soient transmises aux générations à venir.
Or, Ti Nemo et son peuple sont confrontés à de nouveaux enjeux qui viennent perturber la relation millénaire qu’ils entretiennent avec leur île, notamment un tourisme qui développe un artisanat menaçant entre autres le patrimoine forestier.
Le réalisateur est allé, en compagnie de son futur producteur, à la rencontre des habitants à bord d’un voilier au départ de la Nouvelle Calédonie, le seul moyen de rejoindre l’île située loin de toute route maritime.
Avec « Nous, Tikopia »,Corto Fajal rend compte de la relation particulière que ses habitants, sur les recommandations répétées de Ti Nemo, entretiennent avec leur île ; et c’est à travers un positionnement audacieux sur ce dispositif, que se construit la trame d’un film ethnographique.
Le film donne à voir et à découvrir une région du monde qui échappe encore aux transformations imposées par une modernité galopante et jusque là absente des répertoires cinématographique et documentaire.
En posant sa camera sur cette île « hors du monde », Corto Fajal donne la parole à une population méconnue et, à bien des égards, exemplaire.
Corto Fajal est ce qu’on pourrait appeler un réalisateur au long cours, un cinéaste qui pose son travail sur la durée, une position qui lui permet de vivre ce qu’il filme.
Ce qu’il filme, il le vit de très près, de l’intérieur, pour mieux le faire partager.
Après cinq années à vivre avec les Samis dans le grand Nord pour « Jon face au vent » en 2011, le réalisateur organise plusieurs expéditions sur l’île de Tikopia pendant une durée de six années pour mieux approcher les habitants et vivre le plus près possible d’un fonctionnement qui vise à maintenir des règles de vie permettant de respecter une terre à laquelle ses habitants sont profondément attachés.
Corto Fajal réussit à saisir le lien vital qui unit les tikopiens à leur île.
Toute la narration, l’image, les gros plans, la musique, l’ambiance sonore, la voix de l’île sont au service de cette recherche émotionnelle.
Un film utile à plusieurs titres. Il comble un vide géographique injuste. Il nous permet de prendre la mesure de ce que, dans nos civilisations boulimiques de modernité, a fini par gangrener et déshumaniser nos existences.
Francis Dubois
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