Deux sessions – remastérisées et complétées par des inédits – sont l’objet de ce coffret de deux CD pour une rencontre entre deux mémorialistes du jazz et de Harlem. Le pianiste Willie « The Lion » Smith et le batteur, grand-père de la batterie, Jo – pour Jonathan – Jones. Le premier a marqué de son sceau Harlem et le piano « stride » des années 1920-30, le second a participé au « son » spécifique de l’orchestre de Count Basie via la structuration de la section rythmique marquant les 4 temps à égalité. La naissance d’une nouvelle dimension du swing.
« The Lion », le surnom de Willie Smith, proviendrait de sa participation à la Première Guerre Mondiale, résultat de sa bravoure au front. C’est une possibilité. La troupe d’Africains-Américains conduite par le lieutenant James Europe a été plusieurs fois citée et décorée par le haut commandement français sans être jamais reconnue par les Américains. « Tiger », le surnom de Jo Jones, provient de son premier métier « tap dancer », « sandman », danseur de claquettes lorsqu’il avait l’âge d’aller à l’école.
Les deux larrons se retrouvent d’abord le 16 février 1972 pour évoquer les thèmes qui ont frappé leur histoire personnelle. Aucune nostalgie de leur part, aucun « c’était mieux avant » plutôt une conjugaison au présent de leur art, de leur talent, de leur génie.
La deuxième rencontre a lieu le 6 juin de cette même année 1972 qui sera forcément sous l’égide de l’anniversaire du débarquement. L’album prendra comme titre « Le lion, le tigre et la Madelon » lors de sa première parution, référence aux deux guerres mondiales et au surnom de Willie Smith. Les notes de pochette des deux albums ici réunis seront signées Hugues Panassié.
Ce 6 juin Willie Smith signait son dernier enregistrement – il décédera le 18 avril 1973 – par une de ses compositions parmi les plus célèbres « Here Comes The Band » qui termine le deuxième CD.
Pianiste et batteur évoquent les temps du jazz, leur espace/temps spécifique, qui les envoie ailleurs que dans ce monde dit « réel » qui ne sait plus où il va. Pourtant, cette musique n’est pas hors du temps, elle structure un temps différent, une manière de relire le passé pour ne pas le perdre en route tout en s’inscrivant résolument dans l’esprit des temps. Une sorte de gageure que seul le jazz peut relever.
Personne ne sait définir le jazz avec les mots, ces enregistrements – musiques et dialogues – peuvent en faire office. Une entrée musicale dans cette musique sans nom. Et le plaisir de les retrouver.
Nicolas Béniès.
« The Lion And The Tiger », Frémeaux et associés.
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