C’est en 1935 que Karel Čapek, auteur tchèque à qui l’on attribue généralement l’invention du mot « robot », écrivait cette fable entre dénonciation et dystopie. Un vieux marin découvre dans les îles de la Sonde une île habitée d’étranges créatures aux qualités presqu’humaines, des salamandres, qui le couvrent généreusement de perles magnifiques. Appâté par ces créatures qui ne réclament aucun salaire, il s’associe à un industriel pour faire travailler ces salamandres sans les cantonner à la recherche des perles. Peu à peu leur exploitation va s’accentuer. Elles feront l’objet d’évaluations boursières, on va les vendre, créer des élevages de salamandres jusqu’au jour où ayant appris à lire, à écrire, à dire non elles vont prendre l’ascendant sur les hommes. Sans compter que dans le même temps, l’exploitation effrénée des ressources a mis l’avenir du monde en péril.
On comprend vite que ce roman foisonnant, qui constitue une charge féroce contre un capitalisme prêt à sacrifier l’humanité et son environnement pour son enrichissement sans limite, ne pouvait que séduire Robin Renucci. Cette fable caustique, dans la veine de Swift dénonçant avec un humour caustique l’avidité des bourgeois de son époque, lui offrait tout ce qui passionne en lui le comédien et le metteur en scène. Evelyne Loew a écrit une adaptation du roman pour sept comédiens en conservant la fantaisie et l’inventivité visionnaire du roman de Čapek.
Au centre de la scène, une très grande table ronde, image du monde autour de laquelle tournent les décideurs et les journalistes. Dans un coin, une grue portuaire d’où parle le narrateur et où se presseront les humains menacés. Bien sûr on ne verra pas les salamandres, mais leur présence s’impose à l’imagination des spectateurs. Ne seraient-elles pas là, dans la baignoire ou derrière des rideaux de plastique translucides ? Toute la beauté de la mise en scène de Robin Renucci réside dans cet artisanat qui magnifie l’illusion. La magie du théâtre est visible. On glisse d’une esthétique des années 30 dans les costumes et les intérieurs à un avenir menaçant qu’il n’est nul besoin de représenter car les mots suffisent. Les acteurs deviennent aussi chanteurs, bruiteurs, créant le bruit de l’orage avec une plaque métallique, celui de l’eau avec une bassine. Nul besoin d’effets spéciaux, une vidéo au noir et blanc un peu sale suffit à compléter les dialogues qui font avancer la fable. Judith d’Aleazzo, Gilbert Épron, Solenn Goix, Julien Léonelli, Sylvain Méallet, Julien Renon et Chani Sabaty glissent d’un personnage à l’autre et entraînent les spectateurs dans cette histoire où le fantastique se mêle au réalisme dans la condamnation de l’exploitation et des totalitarismes, dans la défense de la diversité, du respect du vivant et de l’environnement.
Un texte qui nous tient en haleine, un plaidoyer humaniste simple, lisible, sans prétention, très bien mis en scène et joué. Tous les ingrédients sont là pour le théâtre que l’on aime.
Micheline Rousselet
Mardi, mercredi, vendredi à 20h, jeudi et samedi à 19h, dimanche à 16h
La Maison des Métallos
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