C’est dans le village de Jérico, niché au cœur de la Cordillère des Andes où vivait sa grand mère que Catalina Mesa est allée à la rencontre de femmes qui, face à sa caméra, évoquent leur passé et leur vie de vieilles dames. Elles sont hautes en couleurs, frondeuses, provocatrices, nostalgiques, confiantes, battantes ou résignées, pudiques ou impudiques.
Un feu d’artifice de paroles entre humour ou sagesse, musique et humanité.
C’est peut-être parce que c’est un village enclavé au sein des montagnes que Jerico a conservé des traditions qui se sont perdues ailleurs.
Les vieux y vivent longtemps et cette longévité contribue à maintenir un monde traditionnel.
A la mort de Ruth sa grand mère, Catalina Mesa a pris conscience du fait qu’avec cette disparition, un chapitre de l’histoire de sa famille allait s’éteindre à jamais.
Et même si la culture se transmet automatiquement, la réalisatrice a joué sur la tradition orale et décidé de rencontrer de vieilles dames pour mener à bien un travail de mémoire.
Elle a réalisé «Jerico »pour sa propre famille mais aussi celle de la mémoire collective, celle de la région d’Antioquia et de la Colombie.
Parce que les femmes qui interviennent dans le film ont été choisies pour leurs personnalités contrastées, « Jerico » apparaît comme un kaléidoscope où chacune représenterait une couleur et un archétype féminin.
Ce sont huit portraits de femmes et dans ces récits de vie où l’intime rejoint souvent le politique, c’est l’histoire de la Colombie qui apparaît en filigrane. Comme l’histoire de Celina dont le fils enlevé a définitivement disparu de sa vie mais pas de son souvenir et que vingt ans plus tard, elle espère voir réapparaître un jour. Son histoire est celle de beaucoup de femmes en Colombie.
Mais les femmes du film de Catalina Mesa sont généralement joyeuses malgré les difficultés de la vie et c’est ainsi que Chila a abordé le drame de la mort de son mari et de ses enfants, comme incidemment, au milieu d’une partie de cartes avec ses amies.
Et jamais quelques soient les drames qu’elles ont pu vivre et bien que certaines d’entre elles aient livré leurs souffrances, elles n’apparaissent comme des victimes repliées sur leur passé. Au quotidien, elles se situent surtout du côté de la vie, de l’humour, de la joie….
La parole des ces femmes est libre et chacune a sa façon de ne pas respecter les limites en abordant leurs amours, la sexualité, la maternité.
Le film se met au service de leur intimité et de leurs paroles, au service de chacune des histoires et fait ressortir de ce qu’il y a d’émouvant dans cette culture, de ce qu’il y a de simple, de digne et de beau.
Le film s’est également mis au service d’une oralité que la réalisatrice voulait célébrer mais sans jamais nier la face sombre de l’histoire ou de l’état du pays
« Jerico» est un film coloré, lumineux dont chaque plan est très agréable à l’œil sans jamais exploiter la joliesse des décors, qu’il s’agisse des façades colorées de maisons typiques, du charme désuet des intérieurs, de cette lumière qui inonde les rues de la ville.
Le film ne commente jamais rien, ne porte aucun jugement, ni sur la religion dans son ensemble, ni à propos de Fabiola qui se bat avec ses saints, ni sur Elvira qui passe un contrat avec la vierge, ni sur Chila quand elle s’adresse aux anges dans l’église.
Un film d’une belle délicatesse.
Francis Dubois
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