Donner naissance à un enfant n’implique pas forcément que la mère ou le père soit prêt à s’installer dans cette fonction. Comme le dit Françoise Héritier, la filiation est différente de la procréation. Le lien entre mère et fille est complexe. Une femme peut craindre de reproduire avec sa fille le lien de dépendance qu’elle a avec sa mère. Si elle n’arrive pas à couper ce lien c’est sa liberté d’assurer son indépendance en s’affirmant comme différente qu’elle met en cause, mais si elle le coupe vraiment c’est un sentiment de culpabilité qui la guette. Finalement qu’est-ce qu’être mère et toute femme est-elle prête à assurer ce rôle ?
C’est cette problématique qui est au cœur du projet de la metteuse en scène Anne Théron. Elle en a confié l’écriture à Alexandra Badea pour qu’elle insuffle dans l’intime un regard où entrerait aussi une part de social et de politique, que cette auteure réussit toujours si subtilement. C’est dans un contexte où la mondialisation et les usages des moyens de communication moderne, internet et réseaux sociaux sont très présents, qu’Alexandra Badea va dérouler l’histoire, celle d’une jeune fille Clara, à la recherche de sa mère partie sans laisser de trace alors qu’elle n’était qu’un bébé. Elle a un nom, Anna Girardin. Au gré de sa quête Clara rencontre plusieurs Anna qui vont parler de la maternité, du lien à la mère, de la perte d’un enfant. Ces femmes peuvent cacher une partie de la vérité ou mentir pour protéger leur intimité ou se découvrir. Qu’a fui Anna ? Une mère qui ne vivait plus que pour elle, un homme, une enfant à qui elle craignait de transmettre ses névroses ? À un homme qui lui dit « tu fuis la vie Anna » elle réplique « Non je fuis ceux qui m’empêcheraient de la vivre ».
Narration et dialogues alternent sur le plateau où neuf cubes empilés en trois colonnes donnent à voir un salon, une chambre, un studio où évoluent trois générations de femmes incarnées par quatre comédiennes impeccables. Liza Blanchard, petit bonnet sur la tête incarne une Clara désemparée hantant les aéroports à la recherche de sa mère. Maryvonne Schiltz, sa grand-mère fait sienne la douleur de toutes les mères. Judith Henry se métamorphose, de façon convaincante par le seul jeu des attitudes, en quatre des Anna possibles. Nathalie Richard incarne Anna Girardin, une femme indépendante dont le caractère bien affirmé cache les doutes et les blessures. Sa voix laisse passer toutes les failles que cache Anna.
Dans cette quête des femmes une place devait aussi être faite aux hommes. À l’encontre de ce à quoi l’on pouvait s’attendre ils n’interviennent pas en tant que pères et ils ne sont pas sur le plateau. Ils sont à l’écran, dans de vrais films et Anna dialogue avec eux. Yannick Choirat, Alex Descas, Wajdi Mouawad et Laurent Poitrenaux sont ces hommes, qui ne sont pas réduits à des rencontres de hasard mais auxquels le film donne une véritable existence.
De ce très beau travail choral on sort bousculé et ému.
Micheline Rousselet
Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30
Théâtre National de la Colline
15 rue Malte-Brun, 75020 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 44 62 52 52
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