Paul se marie avec Louise, sous le bruit de la canonnade, à la veille de partir à la guerre en 1914. En 1915 il déserte, revient chez lui et, avec l’aide de Louise, se travestit en femme pour échapper à la police qui le recherche. Il devient Suzanne, mais change-t-on d’identité aussi facilement ? Il se maquille, apprend à se comporter comme une femme, à tourner la tête discrètement pour échapper aux regards, à serrer les jambes quand il s’assied et à marcher avec des talons hauts. Pendant des années, bien après la guerre, il vivra ainsi, travaillera au Bois de Boulogne mais ne peut abandonner son naturel, celui d’un homme alcoolique et violent qui maltraite sa femme.
Julie Dessaivre s’est inspirée d’une histoire vraie qui a défrayé la chronique au début du siècle passé et a donné lieu à un roman, La garçonne et l’assassin, de Fabrice Virgili et Danièle Voldman. Si la pièce démarre par le mariage de Louise et se termine par le procès où Louise, qui a tué son mari, est acquittée, le cours de la pièce n’avance pas de façon linéaire et c’est tant mieux. Deux regards extérieurs, celui de Lucie l’amie de Louise et celui de la gardienne Madame Massin, apportent avec humour des éclairages sur l’histoire de ce couple et sur une époque, celle où le Code Civil énonce encore que sont « privés de droits juridiques les criminels, les femmes mariés et les débiles mentaux ». La pièce croise aussi la violence de la guerre et celle imposée aux femmes et un moment où les femmes commencent leur longue marche vers une libération des carcans qui les oppriment.
Le décor est très simple, la table de la mairie devient lit conjugal, lit de mort ou tribunal. La mise en scène se centre sur le couple qui dialogue et sur les adresse au public des deux narratrices, Lucie et Madame Massin. Des chansons de l’entre-deux guerres offrent un contrepoint à l’histoire de Tel qu’il est il me plaît… mais je l’aime à Mon homme, avec ce vers qui sonne avec humour « J’sens qu’il me rendrait infâme, mais je n’suis qu’une femme ! » L’ensemble est très vivant. On évolue d’un lieu à l’autre, on passe de la loge de la gardienne à l’appartement du couple ou à d’autres lieux. Les acteurs de la jeune Compagnie Rosa Rossa sont tous très convaincants. Eloïse Bloch a la sagesse pleine d’humour de Lucie, Constance Gueugnier a le côté chatte curieuse de la gardienne qui sait beaucoup de choses mais se demande jusqu’où elle peut les dire. Édouard Demanche réussit avec talent à montrer la gêne de Paul Grappe à se transformer en femme, à rendre sa démarche féminine et à se laisser guider quand il doit danser. Il aura beau s’enfuir dans la débauche il ne réussira pas à échapper à sa violence envers sa femme. Léa Rivière-Fernandes nous révèle une femme gênée par la transformation en femme de son mari, qui veut aimer mais n’ose pas rompre complètement avec ce mari qui la bat, touchante dans ses efforts pour se libérer. D’une pièce qui démarre sur la violence de la guerre on a glissé avec émotion vers des questions toujours actuelles – l’égalité homme-femme, les violences conjugales, le rapport trouble à la féminité. On ne se libère pas si facilement des stéréotypes de sexe !
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 21h
Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame des Champs, 75006 PARIS
Réduc’SNES sur réservation : 01 45 44 57 34
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