Hiver 2016, la jungle de Calais est une véritable ville où vivent dans des conditions très précaires douze mille personnes. Au début du printemps, la zone sud avec ses commerces, ses rues, ses habitations vétustes, est démantelée. Les habitants émigrent vers la zone Nord, reconstruisent et continuent à vivre dans la même précarité. A l’automne, le gouvernement lance la destruction définitive de la jungle.
Mais la jungle est un territoire mutant, une ville mouvante, une ville du futur car même détruite, elle renaît de ses cendres ; il ne suffit pas de détruire une ville pour que ses habitants se volatilisent et disparaissent.
Tourné avec des jeunes gens échappés du tumulte et de la cruauté des guerres, qui n’ont jamais connu (et qui ne connaîtront jamais) rien d’autre que la précarité, la violence et la présence policière et n’ont pour les tenir debout que le désir obsessionnel de traverser la frontière vers l’Angleterre,
« L’héroïque Land » pourrait bien être un épisode ignoré de « L’Odyssée » d’Homère.
Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval ont tourné les séquences de cette vaste fresque entre janvier 2016 et février 2017 dans la tourmente d’un mauvais vent qui criminalise et méprise des êtres humains dans le tumulte de l’exil.
En arpentant pendant un an cet endroit, ils ont réalisé leur propre périple, leur propre exil, même si les épreuves par lesquelles sont passés les habitants de la jungle de Calais n’a rien de comparable avec un tournage de film, tant bien même s’il se passe dans des conditions difficiles.
Ils ont réalisé un film témoignage sur ce qui se passe chaque jour, maintenant et sous nos yeux, avec des personnes qui, en dépit de tout ce qui devrait les accabler totalement, avaient avec énergie et une joie de vivre puisée dans on ne sait quelle force, réussi à faire surgir une ville de la boue.
Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval filment des personnes qu’ils rencontrent comme ils le font depuis maintenant des années. Ils filment au jour la jour, à l’instant l’instant, au hasard des rencontres, du contact qui se fait ou ne se fait pas, comme si un film en train de se faire était une manière d’être vivant, de garder la tête hors de l’eau.
Le film s’ouvre sur un trajet en voiture en direction de Calais. C’est le trajet des cinéastes, le temps d’un long travelling et d’un texte en sous-titre.
La frontière est alors visible. Puis on saute de l’autre côté des barbelés et il n’y aura dès ce moment-là plus aucun lien filmé entre la ville et le camp.
Et ce sont les récits, la parole, le contact humain qui font le lien avec la ville. Il sera souvent question de courses au supermarché LIDL qui est une sorte de lieu attractif, mais jamais la caméra des deux cinéastes n’accompagnera ces déplacements.
Le film est situé tout entier en deçà d’une frontière interdite et fantôme, à la fois géographique, policière, administrative et qui, en plus de couper le camp de la ville, semble modifier la perception du temps et de l’espace.
Le choix de Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval génère un rapport complètement nouveau au documentaire, à la fiction et au temps.
Les ruelles, les paysages, les maisons vétustes, les allées et venues et les paroles deviennent un labyrinthe dont il faut trouver la sortie.
Pour la police comme pour les habitants de Calais, JUNGLE est tatoué sur les visages et dans les corps. Pas besoin de murs électrifiés, de miradors, de sentinelles et de chien policier, un visage, une silhouette suffisent à créer le camp.
Jamais plus qu’avec « L’héroïque lande» , un film n’aura autant été un lieu.
Francis Dubois
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