En 1942, alors que l’Europe est à feu et à sang, Payerne, en Suisse, semble bien loin des confits.
Pourtant la frontière n’est qu’à quelques kilomètres.
Là, dans les campagnes reculées où la terre a le goût âcre du sang des cochons et des bêtes à cornes qu’on tue depuis des siècles, les habitués des cafés pullulent de râleurs de toutes sortes, Parmi eux, Fernand Ischi, un vantard rusé est de ceux qui, avec une vingtaine de Payernois, ont prêté serment au Parti nazi.
Celui-ci rêve d’attirer l’attention de la Légation d’Allemagne et pourquoi pas, celle d’Hitler.
Pour cela, avec ses compagnons, ils ont choisi comme victime Arthur Bloch, un marchand de bétail.
C’est au cours de la Foire aux bestiaux de Payerne qu’ils vont passer à l’acte. Ce jour-là, un juif sera assassiné pour l’exemple.
Soixante-sept ans plus tard, en 2009, quand l’écrivain suisse Jacques Chessex se souviendra de ces faits, c’est lui qui deviendra l’ennemi à abattre.
Jacob Berger a décidé de réaliser un film sur le sujet à cause de la similitude ressentie de plus en plus fortement entre les années 1930-1940 et le début de notre vingt et unième siècle. Ce passé relativement récent a produit l’une des plus grandes tragédies de l’Histoire et ne pas observer avec la plus grande attention l’engrenage enclenché, selon le réalisateur, nous rend tous complices de son éventuelle résurgence.
Jusque-là le cinéaste n’avait pas voulu aborder des sujets politiques dans ses films mais plusieurs raisons l’y ont amené : la réaction de Payerne au moment de la parution du livre de Jacques Chessex à qui on reprochait de «remuer» inutilement le passé, le fait que les juifs ne sont plus les seuls à se trouver dans le collimateur des extrémistes, et que de nombreuses autres minorités peuvent devenir de nouvelles cibles.
Le personnage d’Ischi s’affirme dans la plus aveugle monstruosité mais Jacob Berger ne fait jamais basculer son récit dans un genre démonstratif. Il s’est au contraire appliqué à illustrer les glissements vers le pire, à montrer comment on peut passer d’une société munie de garde-fous à une parole soudain décomplexée, se permettant des propos et des actes abominables.
Les assassins de «Un juif pour l’exemple» sont pris dans un tissu de comportements, d’actes et de paroles qui ne prêtent pas forcément à être condamnés, comme s’il était dans l’ordre des choses de ne faire que s’arrêter au constat d’une sorte de fatalité selon laquelle il y aurait dans toute société, des boucs émissaires et des tortionnaires en puissance.
Certes, un jugement a eu lieu qui a condamné les coupables de l’assassinat d’Arthur Bloch mais dès la fin d’un procès auquel on n’a pas accordé sa particularité, tout est rentré dans l’ordre jusqu’à la parution du livre de Chessex qui donnait à l’assassinat sa réalité, c’est à dire autre chose qu’un fait divers.
«Un juif pour l’exemple » renvoie à cette façon dont on a nié la culpabilité collective pour conduire à une amnésie volontaire.
Ainsi, la ville de Payerne en est arrivée à cette aberration : l’existence au centre ville d’une plaque en étain portant le nom de «Ischy», patronyme de l’assassin d’Arthur Bloch, alors que les autorités ont refusé que le nom de la victime soit mentionné quelque part en ville au prétexte que cela «réveillerait» les choses du passé.
On trouve au générique de ce film utile à la mémoire de tous, jeunes et moins jeunes, les noms de deux grands comédiens de cinéma et de théâtre : l’allemand Bruno Ganz et le français André Wilms, des noms souvent associés à des films exigeants et engagés.
C’est ici le cas
Francis Dubois
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