Manu, Lucie, Philippe, Amandine ou Martial sont des paysans hors du temps mais pourtant, à leurs façons, des novateurs. Leur choix de pratique agricole par un retour à la tractation animale n’est pas tant une démarche de résistance qu’un choix de vie. Sont-ils des fous ou de doux rêveurs qui vont un jour ou l’autre devoir renoncer, se casser le nez face aux règles de la modernité dévoreuse ?
C’est dans la recherche d’un bien-être, d’un rythme à leur convenance, que ces débardeurs, maraîchers ou céréaliers travaillent avec des animaux de trait, des bœufs, des percherons ou un âne.
Plusieurs «aventures» croisées font la démonstration que la pratique de la traction animale peut exister, se réinventer, voire innover dans un pays où l’agriculture réglée sur le souci de rentabilité maximale est soumise à la modernité de pointe.
Dans «Au pays de la vache fantôme» , d’anciens paysans disaient avoir été des hommes en souffrance quand ils se remémoraient l’époque où ils travaillaient avec l’énergie animale.
L’arrivée du tracteur avait été une libération, disaient-ils, pour eux-mêmes autant que pour les animaux de trait.
Aujourd’hui pourtant, il existe, pour des raisons inversées, de jeunes (ou moins jeunes) agriculteurs, des hommes et des femmes qui, défiant la machine réputée indispensable à la survie et à la rentabilité et se libérant du joug de la course à une productivité maximale, sont revenus à la traction animale comme moteur de leurs activités agricoles.
Cette reconversion a d’autres exigences. Elle implique pour eux l’existence d’un réseaux de fabrication de machines adaptées à leurs choix, outillage qui avait cours à une époque révolue, devenu obsolète et donc introuvables à la vente.
Les investissements sont moins coûteux même si «l’entretien» de l’animal, les contrôles vétérinaires et à un moment ou à un autre, la mise au rancart occasionnent d’autres sortes de frais.
Les repérages qu’ont pratiqués les deux réalisateurs pour l’élaboration de leur film à travers la France, ont prouvé que la traction animale est loin d’être une pratique qui se conjugue au passé, qu’elle existe bel et bien.
D’aucuns pourront ricaner devant la simple difficulté à décider un âne à s’engager sur la ligne d’un terrain à herser, devant les cours que ces agriculteurs donnent à des curieux ou à des individus que l’expérience d’un retour à l’agriculture à l’ancienne pourrait tenter et qui apprennent comment s’y prendre pour diriger un attelage, comment établir un contact de complicité avec l’animal.
Retour à des pratiques archaïques ou bien pratiques d’avenir quand le jour viendra où le monde agricole arrivé au bout de ses machines de plus en plus performantes et onéreuses baissera les armes. Phénomène de mode, tentatives excentriques ou derniers sursauts d’écolos nostalgiques d’une terre qu’ils n’ont jamais pratiquée ? L’avenir nous le dira, mais en attendant « Lignes de trait », le film de Sophie Arlot et Fabien Rabin, nous livre de belles aventures teintées d’un arrière-goût d’une liberté retrouvée.
Francis Dubois
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