Seule, entourée de cinq robes de mariées accrochées sur des mannequins, assise par terre, Maryse parle. Elle se raconte, ou plutôt elle rêve sa vie, elle rêve d’amour surtout. Quand ça ne va pas du tout, elle va voir le docteur et cela lui fait du bien. Mais elle y va « quand elle veut, à la consultation des fous » car dit-elle, « il ne faut pas me la raconter, c’est écrit sur la porte Asile ». Tout est là, elle n’est pas folle, simplement décalée. Elle a sa logique, une logique de l’absurde qui nous fait sourire mais nous perturbe aussi, car ce qu’elle dit n’est pas insensé, pas plus que les questions qu’elle se pose. Elle dit : « Il m’a dit que j’avais de beaux yeux, qu’est-ce que ça veut dire ? S’il voulait me baiser, il n’avait qu’à le dire ». Elle parle vrai, elle se dévoile sans crainte et elle nous touche au cœur.
Pour voir ce que le temps a fait de ce texte, Catherine Marnas a remis en scène, avec la même actrice, la pièce de Serge Valletti qu’elle avait créée en 2001. Ce Marseillais excelle à faire parler les petites gens, à faire émerger ce qu’il y a de fantaisie et de poésie dans des vies de peu. Tandis qu’en fond de scène tournent les robes de mariées, celles dont elle a rêvé, l’actrice vêtue d’une robe de mariée faite de sacs de plastique transparent est assise par terre. Parmi eux une ou deux feuilles de plastique à bulles que Maryse fait parfois éclater en riant, fragiles comme ses rêves. Elle attend un homme dont elle sait qu’il ne viendra pas. Parfois elle met un disque sur son mange-disque et c’est la musique qui dit ses rêves, Polnareff avec « Je te donnerai tous les bateaux, tous les soleils » ou l’été indien de Joe Dassin « on ira où tu voudras quand tu voudras et l’on s’aimera encore lorsque l’amour sera mort ».
Martine Thinières arrive à donner au personnage de Maryse la fragilité et le désespoir de la solitude et en même temps une force qui lui permet, quand elle ne la met pas à l’écart, d’affronter la réalité. Elle balance son mange-disque, elle nous débite ses réflexions, l’œil rieur et le sourire en coin. Elle alterne les moments où elle imagine sa vie -rien d’extraordinaire, un homme avec qui elle irait à la plage en mangeant des glaces- et la lucidité sur le temps qui passe et la vie qui s’enfuit avant qu’on ait pu comprendre. Quand, à la fin, elle retire sa perruque blonde et que ses cheveux gris apparaissent, tandis qu’elle dit « Ça ne s’est pas fait, cela fait peut-être partie des dix-huit raisons pour lesquelles il n’est pas venu ce soir », on se sent empli de tendresse pour elle et on a envie de la prendre dans ses bras.
Micheline Rousselet
Du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 19h, relâche le lundi.
TnBA-Théâtre du Port de la Lune
Place Renaudel, Bordeaux
Réservations 05 56 33 36 80
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