L’Algérie, quelques années après la guerre civile. Amad et Samir, lui est médecin, elle est universitaire, ont décidé de fêter leur anniversaire de mariage au restaurant. Pendant le trajet en voiture chacun exprime sa façon de voir son pays. Elle, à travers la perte de ses illusions, lui à travers la nécessité de s’accommoder de la situation. Pendant que le couple peine à trouver l’établissement correspondant à ses vœux, leur fils Fahim erre en compagnie de deux amis à travers une autre Alger qui semble avoir renoncé à satisfaire ses intellectuels sans illusions….
Pour aborder le terrible épisode des événements qui ont sévi en Algérie au début des années quatre vingt dix, on a parlé de tragédie nationale, de décennie noire, mais le mot guerre civile a le plus souvent été évité. Pourtant, cette période est dans la mémoire de tous et elle a touché tous les algériens d’une façon ou d’une autre.
« Les bienheureux » met en images cet «après guerre» et observe la manière dont le conflit a construit la perception des algériens, comment elle a agi sur les espérances, influé sur le sens des priorités.
Dans le film de Sofia Djama, l’épisode de l’après-guerre est observé depuis la perception qu’en ont plusieurs protagonistes appartenant à différentes générations et origines sociales.
Un couple de bourgeois, anciens «quatrevingthuitards», un homme et une femme qui s’étaient engagés en octobre 1988 et avaient à l’époque participé de façon active aux émeutes qui ont débouché sur la fin du parti unique et sur l’ouverture démocratique du pays.
Mais depuis, ils ont déchanté et en sont revenus de leurs illusions après un conflit qui s’est soldé par par une victoire des conservateurs et des islamistes.
Leur fils, Fahim, jeune adulte est plus ancré dans le présent et dans la ville, cette «autre» Alger dans laquelle il erre la nuit avec ses amis avant d’aller rejoindre d’autres jeunes d’un quartier populaire auprès desquels, l’humour grinçant, l’alcool et le shit l’aident à dominer l’ennui,
Le récit qui accompagne les protagonistes au cours d’une nuit dresse le portrait d’un pays figé dans l’immobilisme du conservatisme.
Alger est le personnage central du film de Sofia Djama, ville bruyante, imposante, oppressante où la menace d’une police absurde rejoint l’insécurité qui écrase ses personnages sous les débordements de son Histoire.
Le film doit être vu comme un état des lieux de l’Algérie citadine actuelle selon des points de vue contrastés mais qui se rejoignent dans l’étroitesse du champ d’action, dans cette sorte d’étau social de réduction des libertés.
L’Alger des uns n’est pas l’Alger des autres. Chez les adultes, il y a ceux qui ont quitté l’Algérie pour la France ou ailleurs, ceux qui regrettent de ne pas l’avoir fait et ceux qui, en dépit de leur déception, continuent de croire en l’avenir du pays.
Après « En attendant les hirondelles », le cinéma algérien, en posant un regard objectif et sans concessions sur l’état du pays, trouve une nouvelle énergie.
« Les bienheureux » et « En attendant les hirondelles» sont deux films à voir absolument.
Francis Dubois
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