Samia qui a fui son pays a échoué comme de nombreux autres clandestins, sur les côtes européennes.
Poursuivie par l’idée qu’elle risque d’être rattrapée par le frère radicalisé vis à vis duquel elle a un lourd contentieux, elle trouve dans un premier temps refuge chez Imed, une connaissance de son village d’origine avant d’entrer au service de Leila, une veuve récente d’origine bourgeoise qui, non seulement la recueille mais fait tout pour que s établisse avec elle, une relation amicale.
Entre ces trois personnages, le désir et la peur vont exacerber les tensions.
Reja Amari a donné comme point de départ à son film l’émigration à tout prix à travers la démarche en ce sens d’une jeune femme qui a affronté tous les risques pour se retrouver perdue dans une ville dont elle ne sait rien avec comme seul lien avec sa future existence, l’adresse d’un garçon de son village qui a lui aussi émigré.
Mais l’émigration n’est pas le seul sujet qu’elle traite dans « Corps étranger ».
Il y a longtemps que Raja Amari formée à la FEMIS, souhaitait réaliser un film sur l’émigration mais elle voulait aborder ce sujet selon un récit qui puisse s’en évader et qui sorte des sentiers battus.
L’idée qui la guidait était que, sous peine d’asphyxie sociale et de misère, un individu qui arrive dans un pays étranger est tenu de se lancer dans une sorte de conquête qui soit à la fois d’ordre géographique et social.
En même temps que Samia part à la recherche d’un travail, d’un logement, d’un statut, elle explore d’autres contrées qui lui étaient jusque là inconnues, celles de la sensualité, des désirs et des pulsions sexuelles.
Samia est chargée d’un passé lourd essentiellement lié à ce frère islamiste radical qu’elle a fui après l’avoir dénoncé et dont elle redoute une éventuelle réapparition dans sa vie.
Elle est entourée de deux personnages dont la présence va éveiller ses sens de jeune fille : un homme, comme elle réfugié en France mais depuis quelques années et intégré à la société française, et une femme totalement intégrée depuis longtemps qui va lui offrir le confort matériel et l’éveiller à la découverte de son corps.
«Satin rouge» le film que Raja Amari avait précédemment réalisé racontait la vie d’une femme qui se libérait par la danse.
Dans « Corps étranger», elle aborde de nombreux sujets : l’immigration, l’intégration, le désir mais aussi le rejet, le radicalisme religieux et la trahison. Et lisible ou souterraine, son film a une portée politique avec le personnage du frère qui n’apparaîtra jamais à l’image mais dont la menace du retour et de la vengeance pèse sur tout le récit.
Mais le film, bien plus que tous les sujets qu’il aborde, s’attache à celui, universel, de la complexité des êtres humains et des rapports qui peuvent s’établir par un simple fait de connections souterraines entre des individus différents.
Le «corps étranger» du titre est bien sûr celui de l’immigré dans le pays où il débarque mais il évoque aussi le poids qu’on porte en soi et dont on voudrait se délester pour éliminer nos peurs et nos frustrations.
Le cinéma tunisien a la réputation d’être un cinéma qui ose et les femmes réalisatrices n’y sont pas pour rien!
«Corps étranger» en est un bel exemple.
Francis Dubois
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu