Bangkok est une mégapole en perpétuelle extension.
Au cœur de l’agglomération se trouve la rue Thaniya un îlot «chaud» de la ville, fréquenté essentiellement par une clientèle japonaise.
Luck, très belle, est une des reines de la nuit.Venue de la province du Nord-Est, elle se prostitue pour subvenir aux besoins de sa nombreuse et nécessiteuse famille restée dans la région de la frontière laotienne.
Un jour, elle retrouve Ozawa, un ancien client qui a connu des revers de fortune et croupit dans une chambre, dans les bas-quartiers.
Quand Ozawa doit se rendre au Laos, Luck décide de l’accompagner. Il la présente à ses proches comme pour lui offrir une dernière chance.
Mais loin de Bankok, Ozawa qui aspire à une existence paisible, est confronté aux cicatrices du colonialisme et à celles de Luck.
Le premier plan de « Bangkok Nites » donne a voir de nuit, depuis une fenêtre, une vue d’ensemble sur la ville en contre-bas, dont le trafic intense produit l’impression d’ une effervescence feutrée et silencieuse.
Non seulement la ville ne dort pas mais c’est une ville de nuit qui vend ses charmes tout comme Luck qui y est venue pour tenter sa chance.
C’est alors que le reflet de Luck sur la vitre de la fenêtre se superpose au Bangkok de la nuit et que Luck et Bangkok ne font plus qu’un.
Les deux longs métrages précédents de Katsuya Tomita évoquaient la Thaïlande mais c’est au cours de ses voyages à Okinawa et dans l’Asie du Sud qu’il a pris conscience à quel point les traces de la colonisation étaient profondes.
Un premier contact du metteur en scène avec la Thaïlande remonte à ses 20 ans quand au cœur des années 90, le «Second Summer of love», un courant de jeunes engagés dans la culture «Rave» parcouraient le monde à la recherche d’un «paradis».
A l’époque déjà en Thaïlande on pouvait proposer aux étrangers tout autant de la drogue, une arme et(ou) une fille.
Et c’est en prenant conscience de cette économie parallèle que Katsuya Tomita a eu l’idée de ses films précédents puis, de «Bangkok Nites»
Il s’est attaché à l’histoire de la rue Thaniya qui remonte à 1969 quand un accord passé entre le gouvernement thaïlandais et l’armée américaine préconisait de fournir des zones de « repos et de plaisir » aux soldats engagés dans le guerre du Vietnam.
Des zones de prostitution se sont alors développées et dans la seule rue Thaniya, sur une longueur de 200 mètres on pouvait répertorier près de 200 établissements et autour de 10 000 prostituées thaïlandaises dans ce quartier singulier réservé à une clientèle japonaise.
Quatre années ont été nécessaires à Katsuya Tomita pour gagner la confiance des «riverains» et pouvoir tourner dans certains établissements de plaisir.
Dans son film, Katsuya explore la manière dont on avait construit à l’étranger un espace «domestique» pour japonais. A partir des personnages de Luck et de Ozawa qui sont l’un et l’autre les représentants de l’intemporalité du sujet, de son appartenance à une époque précise liée à des circonstances historiques, le réalisateur a construit un film prenant avec des moments d’un fulgurante beauté…
Francis Dubois
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