Une équipe (cinéaste, journalistes ou sociologues) constituée d’entendants qui ne connaissent ni la langue des signes, ni les codes de l’Institut national de jeunes sourds, risquent d’apparaître comme un groupe d’ étrangers sinon d’intrus quand ils s’annoncent dans le cours d’éveil musical de l’établissement.
La première question qui vient à l’esprit au cours d’une rencontre, dans ces circonstances, avec des adolescents sourds est: «Quel est l’intérêt d’enseigner la musique à des êtres qui n’entendent pas» ?
Le face à face ne tombe pas sous le sens puisque les adolescents, eux voient les visiteurs comme les spectateurs d’un parc d’attraction et se posent la question «Pourquoi s’intéresser à nous» ?
Le film de Lydia Erbibou est une expérience humaine, l’occasion de faire se rencontrer deux mondes pour qu’un réel partage se produise.
Un fois posée la première question s’en suit une seconde «Commet ressentir et faire de la musique lorsqu’on est sourd ou malentendant» ?
Cette autre question en entraîne une autre «Comment entend-on la musique quand on est sourd ou malentendant» ?
Et si les sourds et malentendants ne sont pas aussi sensibles que des entendants aux mélodies, ou ne les perçoivent pas du tout, alors, qu’entendent-ils ? Quel est, compte tenu de leur handicap, leur rapport aux sons et aux vibrations ?
C’est le point de départ du film, comprendre le rapport aux sons et aux vibrations des sourds et malentendants pour les faire entendre aux entendants, entrer dans leur perception, filmer la vibration.
A l’intérieur de l’Institut national des jeunes sourds, une salle est spécialement aménagée pour permettre à ces adolescents de ressentir les vibrations de la musique et d’en produire.
Dans cette salle unique au monde, une jeune professeure amène les ados à percevoir la musique, les sons à travers leur corps.
Lydie Erbibou les a suivis durant une année. Sa caméra d’une grande souplesse est habile à surprendre un simple geste, un imperceptible mouvement, l’amorce d’un déhanchement. Elle cherche à ce que le spectateur entre dans la perception de chaque personnage filmé de façon sensorielle et non intellectuelle.
Les outils cinématographiques, visuels et sonores, sont à l’affût de la vibration qui se trouve isolée de tous les autres bruits parasites pour en arriver à l’essence du son.
Certains élèves sont des sourds profonds, d’autres sont sourds moyens, d’autres encore sourds légers. Certains sont appareillés, d’autres pas. Certains oralisent, d’autres pas.
Pendant qu’un élève joue avec une application DJ d’IPAD et s’amuse à régler les basses, les aigus, les tonalités, les autres participants recherchent leurs propres sensations. Là où des entendants resteraient passifs, sourds et malentendants sont attentifs à toute perception. L’un colle l’oreille à l’enceinte, un autre prend un capteur en main, un autre allonge son corps sur le sol vibrant. Un autre danse sur des cubes vibrants…
« Good vibrations » nous fait entrer dans un monde inconnu. Celui de la perception des bruits par les malentendants à partir des vibrations auxquelles, nous, entendants avec nos capacités d’audition, sommes insensibles….
Une porte ouverte…
Francis Dubois
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