Maria est la nouvelle responsable-qualité recrutée par une entreprise d’abattage de bêtes dont Endre est le directeur financier.
Lorsque Maria, personnage inhibé et solitaire, voit apparaître en rêve un cerf et sa biche dans un paysage neigeux, elle n’imagine pas un seul instant qu’Endre a, au même moment, dans son sommeil, la même apparition.
Lorsque, au hasard d’un tête à tête, ils découvrent ce fait de coïncidence troublant, ces deux êtres, handicapés affectifs et économes de la parole, tenteront de trouver dans la vie réelle le même amour que celui qui les unit sous une forme onirique.
Le projet initial de Ildiko Enyedi était de raconter une histoire d’amour passionnelle de la manière la moins passionnelle et la moins spectaculaire possible.
C’est pour cet amateur de poésie, la lecture d’un poème de l’auteur hongrois Agnes Nemes Nagy, qui a été le vrai point de départ du projet.
Car derrière le visage le plus lisse soit-il, peut se dissimuler des souffrances, des aspirations et des passions qui produisent «l’héroïsme du quotidien».
Plus tard est venu un nouveau questionnement : Que se passerait-il si on rencontrait un jour quelqu’un qui aurait fait, la même nuit et peut-être au même moment, le même rêve que soi ?
Chercherait-on jusqu’où irait la ressemblance et si le rêve commun était le signe qu’un rapprochement avec la personne est inévitable ?
Maria autant qu’Endre qui ont du mal à gérer leurs émotions. Et ni l’un ni l’autre ne sait que les obstacles qui les empêchent d’aller vers leurs sentiments sont au profond d’eux-mêmes.
Ils ont accumulé tant de strates d’empêchements et de refus que leurs approche de l’autre devient une sorte de faute qu’il faut éviter de commettre.
Qui est Maria ? Un être contemplatif, rigoureux dans l’exécution de son travail mais qui semble s’être fait une carapace de son hostilité aux autres ? Ou un individu que la vie a blessée et qui s’est réfugiée dans la solitude, l’isolement social et dans le silence ?
Qui est Endre, qui semble avoir connu un passé douloureux, qu’un emploi de responsabilités a l’air d’avoir stabilisé mais que la présence de Maria trouble au moment où il croyait s’être mis à l’abri de toute émotion amoureuse ?
Ildiko Enyedi a réalisé un film au scalpel dans un décor froid d’un abattoir moderne. Au blanc de laboratoire de l’abattoir, elle a opposé le sang des égorgements et dépeçages…
Quel rapport entre le cerf et la biche en liberté dans les sous-bois enneigés et les animaux captifs en attente de leur abattage ?
Le rêve qui embarque chaque nuit les deux protagonistes et la froideur des rapports humains entre des hommes dont le travail est de tuer font bon ménage dans ce récit où l’on sentira, par de brefs signes, l’ouverture vers la grande aventure des sentiments.
Le récit est audacieux quand il met en scène des personnages frileux.
Plus que le feu qui attend sous les cendres, il y a en eux, une promesse de flamme…
«Corps et âmes » est un film qui ne se départit jamais d’une grande rigueur dans son déroulement narratif et dans sa construction ciselée.
L’interprétation d’Alexandra Borbely est magnifique, ainsi que celle de Géza Morcsanyi dont la générosité à fleur de peau est palpable jusque dans le simple regard. L’un et l’autre sont les parfaits complices d’ Ildiko Enyedi et de son travail de mise en scène à la fois ample et minimaliste.
C’est superbe .
Francis Dubois
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